Les mythes politiques dans la propagande allemande (1933-1945).
Terminons cette longue analyse historique de l’utilisation des mythes politiques par l’Allemagne nazie. Comme nous l’avons déjà vu dans l’article sur le conditionnement, Adolf Hitler va largement s’inspirer de Lénine et de Benito Mussolini. Je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit ailleurs. A vous d’aller lire mon travail précédent. Intéressons-nous plus spécifiquement au mythe du sauveur que tenta de jouer Hitler en décidant d’incarner le rôle du Führer (I), de la même manière que Mussolini incarna celui du « duce ». Un mythe du sauveur qui sera brillamment mis en scène par de la propagande (II).
I. Le « führer« .
Le culte de la personnalité dans le parti nazi va tourner autour de la très importante notion de « führer ». C’est la même chose que pour le « duce » que nous venons de voir. Il y a derrière ce simple mot, toute un imaginaire allemand qui va parler au petit peuple et que va exploiter Adolf Hitler à son profit. Jamais cette idée n’est expliquée en France, soit par manque de culture politique, soit par complicité plus ou moins implicite. Car souvent nos hommes politiques utilisent la même technique de propagande à leur profit. Je ne soulignerais jamais assez la continuité historique entre le fascisme italien, le nazisme allemand et la propagande politique occidentale. Vous comprendrez au fur et à mesure de mes explications, pourquoi je dis cela.
« Mais c’est précisément dans les masses allemandes que le sens de l’organisation, et partant le besoin d’être guidé, qui dégénère souvent en une soumission sans bornes, en une adoration des personnalités, des leaders, s’affirme irrésistiblement et devient le facteur dominant du comportement des masses. (…) Le culte du héros est répandu sur une vaste échelle et trouve une oreille accueillante même dans les masses ouvrières. » (Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande, p. 326).
En Allemagne, le peuple aime être dirigé d’une main de maître par un chef. C’est une tendance que l’on retrouve y compris dans les mouvements socialistes. Hitler parlera du « führerpinzip« , c’est-à-dire le principe du chef, qui sera la base de son pouvoir et de sa propagande. Il est impossible de comprendre le nazisme sans comprendre le « führerprinzip » (A). C’est ce que nous allons tenter de faire. Avec le « führer » comme chef, il est possible de mettre en place, par la propagande, le culte du chef (B). Cette propagande va jouer sur le mythe politique du chef dans sa version allemande.
A : Le « Führerprinzip« .
Adolf Hitler, dans « meine kampf » évoque le « führerprinzip » dans le chapitre IV du deuxième volume sur « la personnalité et la conception raciste de l’Etat« . C’est d’ailleurs l’un des chapitres du livre le plus importants à lire, puisqu’il explique dans le détail sa conception politique du futur État nazi. Nous verrons dans le détail ce chapitre, duquel je citerai de nombreux passages pour illustrer mon propos, jusqu’à la fin de l’article.
1. Origine du concept de « führerprinzip« .
Au sujet des origines du principe du chef, Adolf Hitler évoque l’organisation de l’armée prussienne.
« Il faut transposer le principe qui fit autrefois de l’armée prussienne le plus admirable instrument du peuple allemand et l’établir à la base même de notre système politique : la pleine autorité de chaque chef sur ses subordonnés et sa responsabilité entière envers ses supérieurs. » (Adolf Hitler, Meine kamps 2, chapitre IV)
L’organisation de l’armée prussienne renvoie de manière évidente à Frédéric II le Grand (1740-1786) qui fut le premier roi de Prusse. Il fut ami personnel de Voltaire et dirigea son royaume selon les principes du despotisme éclairé. Il y a donc une réelle influence de la pensée politique française et en particulier de la philosophie des « Lumières » dans l’idée de « führerprinzip« . Nous le verrons, il s’agit de court-circuiter le peuple et de diriger le pays à sa place. C’est l’idée sous-jacente. Le peuple est un ramassis d’incompétents et d’incapables, alors que l’élite est intelligente et compétente.
Par exemple, on retrouve cette idée dans la vie politique française depuis 1974 et l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing. On nous a présenté le Premier ministre, Raymond Barre comme le meilleur économiste de France. Il y eut Alain Juppé, qui fut présenté comme le meilleur d’entre nous et qui fut Premier ministre de 1995 à 1997. Enfin, dernier en date, Emmanuel Macron, présenté par la classe politique et médiatique unanime, comme le « Mozart de la finance ». Un point commun de ces trois individus, ils furent rejetés unanimement par le peuple lors d’une élection : présidentielle de 1981 pour Barre, dissolution et législatives perdues pour Juppé en 1997, dissolution et législatives perdues pour Macron en 2024. Cela montre l’anti-nomisme de cette théorie qui se construit contre le peuple. Nous-y reviendrons.
Les idées de Frédéric Ii ont été reprises par Otto von Bismarck (1871-1890) et son projet pangermaniste. Un projet pangermaniste que l’empereur d’Allemagne et roi de Prusse tentera de mettre en œuvre durant la Première Guerre mondiale. Adolf Hitler et la Deuxième Guerre mondiale concernent une deuxième tentative de projet pangermaniste. Actuellement, nous vivons la mise en œuvre d’une troisième tentative de ce funeste projet pangermaniste. Le projet politique derrière le pangermanisme, c’est la synarchie dont j’ai parlé dans un de mes livres, « la bête de l’événement« . L’organisation politique synarchiste fonctionne selon le « führerprinzip« .
Certains auteurs font remonter l’origine du « führerprinzip » aux sagas nordiques dont la lecture permet de retrouver l’idée d’un chef suprême, charismatique et visionnaire, déifié par son peuple.
2. Contenu du concept de « führerprinzip« .
Il nous faut étudier ce qu’est le « führerprinzip » que le traducteur français de « meine kampf » appelle « le principe de personnalité ». Une très mauvaise traduction. Il aurait dû parler de « principe du chef », voir laisser le mot en allemand, car le terme « führer » est entré dans la langue française et est connu du grand public.
Il y a plusieurs éléments constitutifs, comme l’anti-nomisme (a-2-1), l’anti-parlementarisme (a-2-2), le rôle du chef (a-2-3), le principe hiérarchique (a-2-4).
a. L’anti-nomisme.
Le plus important à comprendre dans le principe du chef, c’est sa conception anti-nomiste de la société.
L’anti-nomisme en politique est une opposition entre l’élite et le peuple. L’élite se dispense du respect des lois divines, alors que le peuple lui est obligé de les respecter. Il y a une séparation irréconciliable entre l’élite et le peuple. Une opposition dont parle en abondance Adolf Hitler dans « Meine kampf« . L’auteur est clairement anti-nomiste. On le comprend en lisant ce passage.
« Une doctrine qui, écartant l’idée démocratique de la masse, tend à donner cette terre au meilleur peuple, c’est-à-dire aux individus supérieurs, doit logiquement se conformer au même principe aristocratique à l’intérieur de ce peuple et conserver aux meilleures têtes le commandement et l’influence. Au lieu d’édifier sur l’idée de majorité, cette doctrine se fonde ainsi sur la personnalité. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Hitler oppose les régimes politiques fondés sur le principe démocratique à ceux fondés sur le principe aristocratique.
Le choix des mots est assez étonnant.
Selon lui, la démocratie a pour source la masse. Il prétend s’opposer à cette conception de la politique. Nous savons pourtant qu’Adolf Hitler utilisa la masse comme outil de propagande pour prendre le pouvoir et le garder, comme je l’ai montré dans mon article sur le conditionnement.
Il oppose la démocratie à l’aristocratie, c’est-à-dire le pouvoir des meilleurs.
Là encore, nous pouvons être étonnés d’une telle qualification.
Les nazis n’étaient pas les meilleurs. Bien au contraire. S’ils ont eu l’idée d’utiliser la masse dans leur propagande, c’est par manque de talent personnel et d’intelligence. La propagande permet aux médiocres de se faire passer pour des gens compétents et charismatiques. C’est l’arme des faibles. C’est l’arme de la faiblesse. Un véritable aristocrate, qui est le meilleur, n’a pas besoin d’utiliser ce genre d’artifice. Son intelligence et sa valeur paraissent évidentes pour le peuple.
La démocratie s’accompagne toujours de la propagande. Le couple propagande et masse est indissociable. Sans masse, il n’y a pas de propagande.
« Celui qui croit aujourd’hui qu’un État raciste national-socialiste ne doit guère présenter, avec les autres États, que la différence purement matérielle
d’une meilleure organisation économique, soit par un plus juste équilibre entre richesse et pauvreté, ou bien par un droit de regard plus étendu des classes inférieures dans le processus économique, ou bien par des salaires plus équitables ou mieux répartis, celui-là est le dernier des retardataires et il n’a pas la moindre idée de notre doctrine. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Hitler va justifier l’inégalité entre l’élite et le peuple. Une inégalité qui justifie une différence de salaire, la richesse des uns et la pauvreté des autres. Etre membres de l’élite justifierai un salaire plus élevé, une richesse plus importante. Il ne faut aucune loi sociale afin d’augmenter le salaire des plus modestes, aucune aide sociale, aucun soin de santé. Cela ne vous rappelle rien ? C’est le discours ultra-libéral actuel. Il reprend les idées du nazisme exprimées dans « meine kampf« .
« Tout ce que nous venons de mentionner ne présente aucun caractère de permanence ou de grandeur. Un peuple qui en demeurerait à des réformes d’un caractère aussi superficiel, n’aurait pas la moindre chance de triompher dans la mêlée universelle des peuples. Un mouvement qui ne verrait pas dans sa mission autre chose que ces réformes égalitaires, d’ailleurs équitables, ne possèderait plus puissance ni efficacité quand il s’agirait de réformer profondément un milieu. Toute son action demeurerait, en définitive, limitée à des objets superficiels ; il ne donnerait pas au peuple cette armature morale qui l’assure de triompher – je dirais presque malgré lui – des faiblesses dont nous souffrons aujourd’hui. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Adolf Hitler évoque également la nécessité de réformer le pays pour lutter efficacement dans l’économie mondiale. Le mot réforme qu’utilise Hitler dans « meine kampf » est également utilisé par nos hommes politiques ultra-libéraux. Depuis Giscard, j’en entends parler. Cinquante ans que l’on nous explique que des réformes sont nécessaires. Là encore, ils reprennent le vocabulaire nazi. Les réformes dont parlent les libéraux sont censées être nécessaires pour adapter l’économie à la concurrence internationale. Il y a une continuité linguistique entre le nazisme et le néo-libéralisme moderne.
« Les génies d’une trempe extraordinaire ne sont pas soumis aux mêmes règles que l’humanité courante. Toute l’organisation de l’État doit découler du principe de la personnalité, depuis la plus petite cellule que constitue la commune jusqu’au gouvernement suprême de l’ensemble du pays. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Ce passage est de manière évidente anti-nomiste. Les membres de l’élite sont considérés comme des génies d’une trempe extraordinaire. Hitler dit qu’ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que les gens ordinaires en raison de leur dimension hors normes. C’est sur ce principe que doit se fonder le « führerprinzip » que le traducteur français appelle « le principe de personnalité. Ce principe de personnalité doit s’appliquer à l’ensemble de la société, du gouvernement suprême à la plus petite cellule. C’est ce que nous allons voir.
b. L’antiparlementarisme.
L’antiparlementarisme est un autre élément essentiel qu’il faut bien comprendre.
« Ainsi l’État raciste doit libérer entièrement tous les milieux dirigeants et plus particulièrement les milieux politiques du principe parlementaire de la majorité, c’est-à-dire de la décision de la masse ; il doit leur substituer sans réserve le droit de la personnalité. Il en résulte que : La meilleure constitution et la meilleure forme de l’État est celle qui assurera naturellement aux meilleurs éléments de la communauté l’importance du guide et l’influence du maître. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Le principe du führer s’oppose au parlementarisme. Le parlementarisme est le règne de la majorité, la dictature de la masse, alors que le principe du chef permet aux meilleurs de diriger l’ensemble de la société. L’antiparlementarisme est un grand classique du Fascisme et du Nazisme.
La monarchie qui n’a rien à voir avec le Fascisme, n’en déplaise aux gauchistes. Elle n’est pas, non plus, d’extrême droite, elle est de droite. Le royalisme et le monarchisme sont la vraie droite traditionnelle, avec ses trois branches, selon René Raymond : légitimisme, orléanisme et bonapartisme. Elle s’oppose au « führerprinzip » et à la démocratie.
La monarchie traditionnelle intègre une certaine forme de parlementarisme. Il y avait sous l’Ancien Régime les Parlements comme le Parlement de Paris, le Parlement de Bretagne ou le Parlement de Bourgogne qui exerçaient des fonctions judiciaires et d’enregistrement des lois. Nous trouvons également les Etats généraux dont la réunion en 1789 avait provoqué la Révolution française. Il est donc malhonnête de classer les royalistes ou les monarchistes à l’extrême droite comme s’ils étaient anti-parlementaires.
C’est la démocratie représentative qui doit être condamnée. La démocratie dite représentative n’a d’ailleurs rien de démocratique, elle devrait plutôt être qualifié d’oligarchie. Elle applique d’ailleurs le principe de l’anti-nomisme.
c. Le rôle du chef.
Hitler va opposer le parlementarisme, qui est la décision de la majorité, au « führerprinzip » qui est la décision du chef.
Le peuple allemand doit s’unir autour de son chef, Adolf Hitler, pour mieux assurer sa domination sur les autres peuples et conquérir un espace à sa mesure, le « lebensraum » qui est l’espace vital.
« Il n’y a pas de décisions de la majorité, mais seulement des chefs responsables et le mot « conseil » doit reprendre sa signification primitive. Chaque
homme peut bien avoir à son côté des conseillers, mais la décision est le fait d’un seul. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Un seul homme décide seul. C’est le principe du führer. On retrouve cette idée dans la célèbre formule, « Ein volk, ein Reich, ein Führer » que l’on peut traduire par « un seul peuple, un seul État, un seul chef« . C’est un slogan censé résumer la pensée du nazisme. Le slogan est une arme redoutable pour la propagande. Il est l’expression même du « führerprinzip« . Un slogan qui sera largement exploité par la propagande nazie comme le montre certaines affiches.

Il faut faire le parallèle avec la République française née de la Révolution française.
L’article premier de la Constitution de la Cinquième République dit que :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.«
Sous l’Ancien Régime, il y a de vraies différences culturelles entre les duchés, les comtés. La Bourgogne, n’est pas la Bretagne, la Flandre ou l’Artois. La République va effacer toutes les différences au sein de la France en unifiant le peuple français sous la République. C’est le même principe que l’on retrouve dans le nazisme. C’est un processus d’effacement des différences provinciales sous un principe unique et un chef unique.
Le peuple doit obéir de manière aveugle au Führer. C’est ce que l’on retrouve comme idée derrière un autre célèbre slogan du Troisième Reich : « Ein Befehl ist ein Befehl » que l’on peut traduire par « Un ordre est un ordre« . Nous avons également le slogan, « Der führer hat immer Recht » qui signifie « le führer a toujours raison« .

Dans le texte de la Constitution de la Cinquième République, l’article 16 reprend ce principe :
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.
Il en informe la Nation par un message.
Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.
Le Parlement se réunit de plein droit.
L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.
Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.«
Les pleins pouvoirs de l’article 16, c’est la dictature de la république romaine, mais également le « führerprinzip« . Le Président prend toutes les décisions, l’administration exécute et le peuple obéit aux ordres du chef.
d. Le principe hiérarchique.
Les chefs sont organisés hiérarchiquement.
« Il faut transposer le principe qui fit autrefois de l’armée prussienne le plus admirable instrument du peuple allemand et l’établir à la base même de notre système politique : la pleine autorité de chaque chef sur ses subordonnés et sa responsabilité entière envers ses supérieurs. » (Adolf Hitler, Meine kampf 2, chapitre IV)
Le chef doit obéir à aveuglément à ses supérieurs et doit être obéit avec le même aveuglement par ses subordonnés. Aucun refus n’est autorisé, aucune discussion n’est possible. Ordre hiérarchique obligatoire. C’est le fonctionnement du « führerprinzip« .
L’administration française fonctionne également sur ce principe. Le chef de service décide et les petits fonctionnaires de rang inférieur exécutent.
C’est l’obligation d’obéissance inscrite dans le statut général de la fonction publique.
Article L121-9 du Code Général de la Fonction publique : « L’agent public, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des tâches qui lui sont confiées.
Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés.«
Article L121-10 du Code Général de la Fonction Publique : « L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.«
Traditionnellement, le fonctionnaire pouvait refuser un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Pour garantir ce droit à la désobéissance sans risque, on assurait la sécurité de l’emploi aux fonctionnaires. Il fallait que le fonctionnaire commette une faute d’une particulière gravité pour être révoqué.
Mais cela a changé depuis la fin des années quatre-vingt-dix et le début des années deux-mille avec l’introduction du nouveau management public (new public managment en anglais). Il y a une face cachée de ce management qu’évoque le livre de Johann Chapoutot, « Libres d’obéir: Le management, du nazisme à aujourd’hui« .

Johann Chapoutot explique que le fondateur du management moderne est un ancien juriste nazi, Reinhard Höhn (1904-2000).

Reinhard Hohn s’inspirant du « führerprinzip » dont il fut l’un des théoriciens sous le Troisième Reich, il va mettre en œuvre une nouvelle organisation du management, basée sur la réalisation d’objectifs. Cela autorise le chef à utiliser tous les moyens pour obtenir la réalisation des objectifs que son supérieur lui a fixés. Cela suppose une organisation hiérarchique pour mettre en œuvre et contrôler la réalisation des objectifs.
Si un fonctionnaire n’atteint pas ses objectifs ou désobéit, il sera révoqué très facilement. Il ne peut plus désobéir à un ordre manifestement illégal. C’est le retour de la fonction publique de Vichy qui avait révoqué un grand nombre de fonctionnaires afin d’obtenir une obéissance aveugle. C’est ce qui a permis toutes les horreurs de ce funeste régime.
Ce genre de système qui fait du fonctionnaire un simple exécutant aveugle des moindres caprices de ses supérieurs abouti toujours à des catastrophes. De nos jours, la mise en place de cette nouvelle fonction publique, nous l’avons vu, a permis une féroce répression des gilets jaunes ou la mise en place de la dictature sanitaire.
Avant, cela aurait été presque impossible. Désormais, grâce au management né de l’esprit de Reinhard Höhn, cela fut imposé par le pouvoir sans aucune résistance de l’administration. C’est terriblement inquiétant. Je sais de quoi je parle, puisque j’ai été élève de l’IRA de Lille où l’on m’a appris le nouveau management public. J’ai ensuite été révoqué pour avoir osé écrire un livre sur Nostradamus. C’est un sujet que je connais très bien. j’ai vu venir ces dérives. Tout le processus que décrit admirablement Hannah Arendt dans son livre sur « le procès Eichmann« . Aujourd’hui, il y a plein de petits Eichmann dans l’administration française.
B : Le « führer » du Parti national-socialiste des travailleurs allemand (NSDAP).
Le mot « führer » dont nous venons de faire la généalogie fut utilisé à partir des années vingt par le parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands (NSDAP).
Je me fonderais sur les remarquables travaux de Ian Kershaw, et en particulier sur sa monumentale biographie intitulée « Hitler« .

J’aborderais également son autre livre de référence, qui entre pleinement dans le sujet de cet article, « le mythe Hitler« .

« Longtemps avant l’ascension spectaculaire de Hitler, la notion de « chef héroïque » était déjà une importante composante de la pensée de la droite
nationaliste et völkisch. On peut y voir à juste titre « l’une des idées centrales du mouvement antidémocratique sous la République de Weimar » et « l’un de ses articles de foi incontournables ». Mais même après le passage momentané de Hitler à l’avant-scène pendant le putsch manqué de 1923, il fallut un temps considérable aux auteurs et politiciens völkisch qui répandaient « l’idée de Führer » pour associer couramment leurs espoirs au chef du NSDAP. L’idée et l’image d’un « Führer des Allemands » ont donc été créées longtemps avant d’être appliquées à Hitler, et elles ont coexisté pendant des années avec la montée du nazisme sans qu’il fût évident, aux yeux de ceux qui préconisaient un pouvoir « héroïque », que Hitler était le chef qu’ils attendaient. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 20)
L’auteur nous explique que la création du mythe d’Hitler fut un travail de longue haleine pour associer l’idée de « chef héroïque », donc de Führer » à celle d’Adolf Hitler, afin de l’amener au pouvoir. C’est la création d’un mythe politique par le conditionnement dont parle Ian Kershaw. C’est ce qui c’est passé avec Staline, Mussolini et maintenant Hitler. C’est ce que va nous décrire Ian Kershaw dans son remarquable livre.
« Au début des années vingt, nous sommes encore loin du moment où Hitler, qui n’était encore qu’un agitateur de brasserie en province, pourrait être associé couramment à l’image du chef héroïque, et perçu par la masse du peuple comme ce grand dirigeant envoyé par la Providence pour unir l’Allemagne et lui rendre sa grandeur. Mais, en un peu plus d’une décennie, une vision qui n’était initialement prise au sérieux que par des cinglés d’extrême droite est devenue, au milieu des années trente, l’idée centrale, le maître mot de la vie politique allemande. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 27)
L’auteur va expliquer que le processus de création du mythe du sauveur autour d’Adolf Hitler a pris une dizaine, une quinzaine d’années. Il va distinguer plusieurs étapes : Hitler devient adhérent du NSDAP (b-1), puis en devient le « führer » (b-2), la tentative de coup d’Etat de la brasserie de Munich constitue un tournant dans l’accession au pouvoir d’Hitler (b-3) aboutissant à l’introduction du culte de la personnalité (b-4).
1. L’adhésion d’Hitler au NSDAP.
Au départ, il y a le DAP, un Cercle politique ouvrier créé par des membres de la société secrète Thulé. Nous sommes le 5 janvier 1919. Adolf Hitler y adhérera le 12 septembre 1919. Concernant cette adhésion, il nous faut relater une information peu connue du grand public. A ce moment-là, Hitler était un agent de renseignement de l’armée allemande spécialisé dans la propagande. Ce qui expliquera beaucoup de choses dans la suite de sa vie.
Cela est rapporté dans la monumentale biographie d’Hitler de Ian Kershaw :
« Daté du 3 avril 1919, un ordre de routine du bataillon de démobilisation désigne nommément Hitler comme le représentant (Vertrauensmann) de sa compagnie. Tout laisse penser qu’il occupait ce poste depuis le 15 février. Or la mission des représentants (Vertrauensleute) était, entre autres, de coopérer avec le département de la propagande du gouvernement socialiste pour transmettre aux troupes des matériaux « éducatifs ». Autrement dit, ses premières tâches politiques, Hitler les accomplit au service du régime révolutionnaire dirigé par le SPD et l’USPD. Qu’il ait préféré par la suite garder le silence sur ses actions à cette époque n’a dès lors rien d’étonnant. » (Ian kershaw, Hitler, p. 149)
« Le 11 mai 1919, sous le commandement du Generalmajor von Mohl, était créé le « Gruko », ou Bayerische Reichswehr Gruppenkommando n° 4, à partir des unités bavaroises qui avaient participé à l’écrasement de la Räterepublik. Le gouvernement bavarois étant « exilé » à Bamberg jusqu’à la fin août, Munich, dont le centre était truffé de barricades, de barbelés et de points de contrôle de l’armée, fut bel et bien soumise à un gouvernement militaire tout au long du printemps et de l’été. S’étant donné une double mission – surveiller systématiquement la scène politique et combattre par la propagande et l’endoctrinement les attitudes « dangereuses » qui prévalaient dans l’armée de transition –, le Gruko reprit en main en mai 1919 la « section de renseignements » (Nachrichtenabteilung, Abt. Ib/P) mise en place à Munich dès l’écrasement de la Räterepublik. L’« éducation » des troupes dans une ligne « correcte », antibolchevique et nationaliste, fut rapidement considérée comme une priorité. À cette fin, furent organisés des « cours d’art oratoire » pour former des « personnalités de la troupe capables », appelées à rester longtemps dans l’armée : grâce à leur force de conviction, ces agents de propagande (Propagandaleute) auraient pour tâche de contrer les idées subversives. Dès les premiers jours de juin, l’organisation d’une série de « cours antibolcheviques » fut confiée au capitaine Karl Mayr qui, peu de temps uparavant, avait reçu le commandement de la section de renseignements [59]. Mayr, qui fut l’un des « accoucheurs » de la « carrière » politique de Hitler, aurait pu certainement en revendiquer la paternité.
(…)
En 1919, à Munich, son influence au sein de la Reichswehr allait bien au-delà de son grade de capitaine, et il se vit confier des fonds considérables pour mettre sur pied une équipe d’agents ou d’informateurs, organiser un cycle de cours de pensée politique et idéologique « correcte » destinés à des officiers triés sur le volet et financer des partis, des publications et des organisations « patriotiques ». Mayr fit la connaissance de Hitler en mai 1919, après l’écrasement de l’« Armée rouge ». La participation de ce dernier aux enquêtes de son bataillon sur les actions subversives sous la Räterepublik ont pu attirer sur lui l’attention de Mayr, d’autant qu’au
printemps, on l’a vu, Hitler avait déjà fait du travail de propagande à la caserne, même si c’était au nom du gouvernement socialiste. Pour les besoins de Mayr, il avait donc les bonnes références et le potentiel idéal. La première fois qu’il rencontra Hitler, écrivit-il beaucoup plus tard, on « aurait dit un chien perdu fatigué en quête de maître […] prêt à suivre quiconque lui témoignerait quelque bonté. […] Le peuple allemand et sa destinée lui étaient alors totalement indifférents ». » (Ian Kershaw, Hitler, p. 153)
Hitler fut alors chargé, à la demande de ses supérieurs, d’infiltrer le DAP.
« Les V-Leute placés sous la houlette de Mayr avaient, entre autres tâches, celle de surveiller les cinquante partis et organisations politiques de Munich, de l’extrême droite à l’extrême gauche. C’est donc en sa qualité de V-Mann que le vendredi 12 septembre 1919 Hitler fut chargé de suivre une réunion du parti ouvrier allemand à la Sterneckerbräu de Munich. » (Ian Kershaw, Hitler, p. 157)
Pourquoi personne ne rappelle jamais qu’Hitler fut un agent de renseignement ? Un silence gêné qui s’abat sur cette information pourtant capitale. C’est un grand classique de l’extrême droite comme de l’extrême gauche. Hier comme aujourd’hui. Les liens entre les extrêmes et la police ou les services de renseignement ont toujours été fréquents et multiples.
2. Hitler devient le « führer » du NSDAP.
C’est lorsqu’Adolf Hitler parvient à s’imposer comme le chef du DAP, devenu ensuite le NSDAP qu’Hitler fut appelé « führer ». Il n’était pas encore le chef charismatique que nous connaissons. Un simple dirigeant d’un petit parti totalement inconnu du grand public.
« Déjà en 1920-1921, Hitler était parfois appelé à l’intérieur du NSDAP le « Führer », mais il n’était encore qu’un des chefs du Parti, au côté de son président, Anton Drexler. L’usage de l’expression « notre Führer » s’est fait peu à peu plus fréquent à partir de la fin de 1921 – Hitler avait pris la direction du Parti en juillet –, essentiellement en liaison avec les discours de Hitler aux rassemblements du NSDAP, où il soulignait souvent qu’il était indispensable au Mouvement car il était son orateur le plus doué.
L’expression « notre Führer » restait à cette date synonyme du titre « Führer du NSDAP », qui semble avoir été employé publiquement pour la première fois – au lieu de l’ancien titre, plus traditionnel, de « président du NSDAP » – dans le journal du Parti, le Völkischer Beobachter, le 7 novembre 1921. Tel qu’il était utilisé en 1920-1921, donc, le terme « Führer » renvoyait uniquement et explicitement à la position dirigeante de Hitler au sein du Parti. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 27)
La première trace écrite de l’utilisation du terme « führer » pour qualifier Adolf Hitler remonte au 7 novembre 1921 dans un article. Il signifiait alors uniquement qu’il était le dirigeant du parti NSDAP.
Ian Kershaw observe un tournant au moment de la Marche sur Rome.
« Mais un tournant important eut lieu quand, à la suite de la « marche sur Rome » de Mussolini en octobre 1922, le sens du terme fut pour la première fois étendu, par analogie avec l’italien Duce. Dans un meeting à la Hofbräuhaus, une vaste brasserie de Munich, en novembre 1922, Hermann Esser, l’une des principales têtes pensantes du Parti, proclama que Hitler était le Mussolini de l’Allemagne ; après quoi les références à « notre Führer Adolf Hitler », sans restreindre l’expression à ses fonctions dans le Parti, se sont multipliées dans le Völkischer Beobachter, en particulier à partir du second semestre de 1923. Un article du Völkischer Beobachter de décembre 1922 semble avoir pour la première fois affirmé explicitement que Hitler était le Führer qu’attendait l’Allemagne. Son auteur parlait de la « joyeuse certitude » des partisans de Hitler, au retour d’un défilé à Munich, « d’avoir trouvé ce à quoi des millions de personnes aspirent : un chef ».
Déjà, cette année-là, un livre avait été dédicacé à Hitler « le grand homme d’action […], le dirigeant intrépide de la résurrection de l’Allemagne », bien que, avant 1930, les dédicaces à « l’Allemand debout » ou au « combattant allemand d’aujourd’hui » aient été plus courantes.
Au sein du parti nazi, donc, les débuts d’un culte de la personnalité autour de Hitler remontent à l’année d’avant le putsch, quand Hitler avait déjà acquis une certaine stature politique, au moins dans la région de Munich – un journaliste avait écrit qu’il était, « avec le Hofbräuhaus […], la seule curiosité à signaler à Munich ». Dans un discours au Circus Krone de Munich en avril 1923, Goering, à cette date commandant des SA, affirma que « plusieurs centaines de milliers de personnes » étaient déjà convaincues « qu’Adolf Hitler est le seul homme qui pourrait redresser l’Allemagne ».
Les lettres adressées à Hitler à cette époque par des cercles de droite en Bavière reflètent aussi les espoirs enthousiastes qu’on plaçait en lui : elles allaient jusqu’à le comparer à Napoléon. Les nouveaux membres du NSDAP à Memmingen, fin 1923, jurèrent fidélité « solennellement, à la vie à la mort, à Hitler », et l’ancien chant de marche de la brigade Ehrhardt du Freikorps, avec un nouveau refrain promettant fidélité « jusqu’à la mort » à Hitler qui « nous sortira bientôt de cette détresse », devint très populaire chez les nazis.
En dehors de ces petits groupes de nazis bavarois fanatisés, l’image de Hitler à l’époque – dans la mesure où l’opinion publique allemande s’était aperçue de son existence – n’était que celle d’un vulgaire démagogue capable de susciter une hostilité passionnée au gouvernement dans la populace de Munich, mais guère plus. » (Ian Kershaw, le mythe Hitler, p. 28)
En 1922, le mot « führer va subir une transformation. Auparavant, il était utilisé pour désigner Adolf Hitler comme le chef du parti NSDAP. A partir de 1922, le terme « führer » va signifier qu’il est le sauveur attendu par le peuple allemand, sur le modèle de Benito Mussolini en Italie. Mussolini est le « duce », par mimétisme, Hitler sera le « führer ». C’est l’année où les fascistes ont pris le pouvoir en Italie. Il s’agit donc de copier un modèle de propagande qui a fonctionné afin d’atteindre un résultat équivalent.
« En dépit des attentes et espérances exagérées de certains de ses partisans, l’idée que Hitler se faisait de lui à l’époque ne s’écartait pas beaucoup de celle de nombreux observateurs extérieurs. Il admettait que son rôle était de « battre le rappel », que sa mission consistait à ouvrir la voie au véritable grand chef qui allait suivre et sortir l’Allemagne de son malheur. « Sa conscience de soi, a-t-on écrit, n’a pas changé sur le principe du début de sa carrière politique au jour de la tentative de putsch. »
(…)
En mai 1923, Hitler disait encore qu’il ne faisait qu’ouvrir la voie, pour offrir au dictateur, quand il viendrait, un peuple prêt à l’accueillir.
(…)
Il accepta de voir dans Ludendorff « le chef militaire de l’Allemagne qui vient » et « le chef du grand affrontement à venir », mais revendiqua pour lui-même le rôle de « chef politique ». Si elle restait mouvante, l’idée que Hitler se faisait du chef s’était durcie, « héroïsée » en 1923, mais deux points restaient dans le vague : qui serait le « grand chef », et quel rôle jouerait Hitler une fois la « mobilisation » finie. Dans l’idée qu’il se faisait de lui, il avait, semble-t-il, déjà bien avancé dans la transition du « tambour battant le rappel » au « Führer ». » (Ian Kershaw, le mythe Hitler, p. 29)
Hitler ne se percevait pas encore comme le véritable guide, mais comme celui qui devait « battre le rappel » pour le véritable sauveur qui devait venir après lui.
« Puisque l’image « héroïque » du chef qu’avait Hitler ne correspondait à aucune « personnalité » de l’époque, pas même à Ludendorff, il a suffi de l’échec du putsch pour faire basculer son propre rôle, de l’idée floue qu’il s’en faisait dans les derniers mois de 1923 au profil de chef héroïque qu’il s’attribue dans Mein Kampf – évolution que laissait déjà présager l’assurance dont il avait fait preuve dans son procès. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 29-30)
Hitler ne trouvant aucun candidat valable pour occuper le poste de sauveur, il décide de faire lui-même le travail. Il passe ainsi du « tambour battant le rappel » à celui de « führer » qui doit sauver l’Allemagne. Ce tournant eut lieu lors de son incarcération après la tentative de putsch de la brasserie de Munich.
3. Le coup d’état de la brasserie.
Comme le relate Ian kershaw, le coup d’Etat de la brasserie de Munich va marquer un tournant décisif dans le culte de personnalité autour d’Hitler. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur ce coup d’Etat manqué. Nous l’avons vu, Hitler était un agent de renseignement chargé d’infiltrer le NSDAP. Il réussira tellement bien sa mission qu’il parviendra à s’imposer comme chef du parti. Là encore, la tentative de coup d’Etat fut organisée en partie par l’armée allemande.
« La Reichswehr bavaroise s’était massivement associée à l’entraînement et à la préparation des forces qui avaient essayé de s’emparer de l’appareil d’État. Et des personnages importants avaient trempé dans la tentative de putsch. Quelque justification qu’ils aient pu donner ensuite de leurs actions, Kahr, Lossow et Seißer avaient les mains sales. Héros de guerre, le général Ludendorff avait été le parrain spirituel de toute l’entreprise. Dans le procès des auteurs du putsch qui se tint à Munich du 26 février au 27 mars 1924 – les peines furent prononcées quatre jours plus tard, le 1er avril –, tout incitait à braquer les projecteurs sur le seul Hitler. Il ne fut que trop ravi de jouer le rôle qui lui était confié.
(…)
À l’ouverture de son procès, son attitude avait changé du tout au tout. Il eut tout le loisir de transformer le tribunal en théâtre de propagande. Et, non content d’accepter l’entière responsabilité des événements et de se justifier, il glorifia son rôle dans la tentative de renversement de l’État de Weimar. La menace de révéler la complicité de Kahr, de Lossow et de Seißer, et en particulier de la Reichswehr, dans cette entreprise de subversion, y fut pour beaucoup. » (Ian Kershaw, Hitler, p. 251)
Le verdict fut très clément, sans doute en raison des liens d’Hitler avec les services secrets de l’armée.
« Le verdict fut rendu le 1er avril 1924. Ludendorff fut dûment acquitté, ce qu’il prit pour un affront. Hitler, tout comme Weber, Kriebel et Pöhner, fut condamné pour haute trahison à cinq ans de prison seulement (moins les quatre mois et deux semaines qu’il avait déjà purgés) et à une amende de deux cents marks-or (ou vingt jours de prison supplémentaires). Les autres accusés reçurent des peines encore plus légères. Ainsi que Hitler l’insinua par la suite, les jurés n’avaient consenti à le déclarer « coupable » qu’en lui infligeant une peine des plus légères et assortie de la perspective d’une libération anticipée.
(…)
La conduite du procès et les peines infligées suscitèrent stupeur et dégoût jusque dans les rangs de la droite conservatrice en Bavière. Sur le plan juridique, la peine était en effet scandaleuse. Le verdict passa sous silence les quatre policiers abattus par les putschistes, le vol de quatorze mille six cent cinq milliards de marks-papier (l’équivalent de vingt-huit mille marks-or), la destruction des locaux du journal du SPD, le Münchener Post, et la prise en otage de conseillers municipaux sociaux-démocrates. » (Ian Kershaw, Hitler, p. 254)
Erich Ludendorf fut acquitté, alors que Hitler fut condamné à cinq ans de prison ferme.

Le général Erich Ludendorf (1865-1937) joua un rôle considérable dans les premiers temps du nazisme. Il rédigea un livre, « la guerre totale » qui servira de manuel de propagande pour les nazis. C’est l’un des maîtres à penser d’Adolf Hitler.

Le séjour en prison ne sera pas très rigoureux. Hitler était comme à l’hôtel. Tout cela ne cesse de nous étonner. Surtout venant de quelqu’un qui prétendit être persécuté par le pouvoir. C’est là aussi un discours classique des extrêmes. Prétendre être persécuté par un pouvoir hostile, alors que ce même pouvoir les protège. Un jeu de dupes qui existait déjà au moment d’Adolf Hitler. Rien n’a changé de nos jours.
« Hitler retrouva donc la prison de Landsberg pour y purger sa peine légère dans des conditions plus proches de celles d’un hôtel que d’un pénitencier. De la fenêtre de sa grande chambre confortablement meublée du premier étage, il avait vue sur la campagne. Dans sa culotte de peau, il pouvait se détendre en lisant le journal dans un fauteuil en osier, tournant le dos à une couronne de lauriers que lui avaient offerte des admirateurs, ou s’asseoir à son grand bureau pour trier les monceaux de courrier qu’il recevait. Ses geôliers le traitaient avec le plus grand respect. Certains lui donnaient discrètement du « Heil Hitler ! » et lui accordaient tous les privilèges possibles. Les cadeaux, les fleurs, les lettres de soutien, les panégyriques affluaient. Les visiteurs se bousculaient, trop nombreux pour qu’il pût tous les recevoir : plus de cinq cents avant qu’il ne se décidât à imposer des restrictions. Une quarantaine de codétenus, pour certains des internés volontaires, jouissant de presque tous les conforts d’une vie quotidienne normale, rampaient devant lui. » (Ian Kershaw, Hitler, p. 254)
Ce que montre la description du séjour d’Hitler en prison, c’est que le culte de la personnalité est déjà présent. Il existe un milieu favorable, il ne reste plus qu’à le mettre en scène pour en faire un acte politique. Le séjour en prison va servir d’élément déclencheur. Il va surjouer l’homme politique persécuté par le pouvoir afin de faire monter la compassion, puis l’adhésion sur sa personne. Une technique vieille comme le monde. On constate que le pouvoir politique est complice de ce mécanisme, car il va pousser Adolf Hitler à faire un coup d’Etat, pour ensuite l’arrêter et faire semblant de le persécuter. Une fausse persécution mise en évidence par l’indulgence dont il a bénéficié lors du jugement.
4. Introduction du culte de la personnalité au sein du NSDAP.
A sa sortie de prison, en 1925, Hitler va refonder le NSDAP et se faire réélire président.
« Les « années calmes » du mouvement nazi, entre 1925 et 1928 – le NSDAP, refondé en 1925, est alors à peine mentionné dans la presse non nazie, et obtient un résultat misérable, 2,6 % des voix, aux élections législatives de 1928 –, sont en fait celles où l’organisation du Parti s’étend à l’ensemble du Reich et où le nombre de ses membres s’accroît sensiblement. Pendant cette période, le parti nazi sert de réceptacle politique où convergent tous les groupuscules restants de la droite völkisch, et la position dirigeante de Hitler en son sein se consolide et devient pratiquement inexpugnable. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 30)
Durant la période 1925-1926, le NSDAP ne remporte pas beaucoup de succès populaire. Ils ne sont presque jamais cités dans la presse généraliste. Cependant, c’est pendant cette période souterraine que le mouvement va s’étendre sur l’ensemble du territoire et s’organiser.
En 1926, le culte de la personnalité autour d’Adolf Hitler va connaître un tournant majeur avec l’introduction du salut nazi accompagné du célèbre cri « heil Hitler« .
« Un signe extérieur de l’attachement des fidèles du Parti à la figure de leur chef a été l’introduction au sein du NSDAP, en 1926, d’un salut obligatoire de style fasciste, « Heil Hitler », qui se pratiquait sporadiquement depuis 1923. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 30)
Le salut de style fasciste, inspiré de l’Italie, va devenir le salut nazi. Il fut utilisé pour la première fois par Gabriele d’Anunzio lors de l’épisode de Fiume. On lève le bras en l’air, la main tendue à plat.

A noter qu’Adolf Hitler utilisera une variante du salut nazi. Il va replier le coude.

Quant au cri de ralliement, « heil Hitler« , il s’inspire également du cri de guerre fasciste « Eja, Eja, Eja ! Alalà !« .
Le succès n’est pas immédiatement présent. Aux élections de 1928, le parti nazi ne fera qu’un modeste 2, 6 % et douze députés au Reichstag.

La situation va évoluer favorablement avec la crise de 1929 qui va provoquer la montée du Parti nazi aux élections législatives de 1930.
« La situation a fondamentalement changé avec les législatives de 1930, qui se sont tenues en pleine crise non seulement de l’économie mais de l’État lui-même, et où les nazis ont obtenu un résultat spectaculaire : 6,4 millions de voix, 18,3 % des suffrages exprimés, ce qui a fait d’eux du jour au lendemain, avec 107 sièges, le second parti du Reichstag.
On comprend la jubilation de la direction du parti nazi : ce vote dépassait de très loin ses espoirs les plus fous, il signifiait la percée – non seulement une audience de masse, mais aussi la publicité de masse.
Déjà, un an plus tôt, le Parti avait réussi à se débarrasser en grande partie de son image d’« extrémisme cinglé », et, en assurant la propagande de Hugenberg et d’autres dirigeants réputés sérieux de l’« opposition nationale » dans la campagne contre le plan Young, il avait pu attirer davantage l’attention des médias et se faire mieux accepter, politiquement et socialement, par la bourgeoisie conservatrice.
Mais désormais, après leur triomphe électoral du 14 septembre 1930, le NSDAP et son chef étaient de l’information de premier ordre – c’était le sujet par excellence. C’est à ce stade que le culte de Hitler a cessé d’être le fétiche d’un petit parti de fanatiques et s’est mis à représenter pour des millions d’Allemands l’espoir d’un nouvel âge politique. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 30)
Aux élections législatives de 1930, le parti nazi va obtenir 18 % des voix et une centaine de députés.

C’est un changement de dimension qui lui permettra d’obtenir le pouvoir trois ans plus tard. Ce changement fut obtenu par une habile politique de dédiabolisation. Il s’agissait de transformer un parti « d’extrêmiste cinglé« , en une véritable « opposition » apte à gouverner. Le résultat fut obtenu grâce à la propagande dont nous venons de voir les principaux mécanismes.
II. La mise en scène du culte du chef.
La mise en scène du culte de la personnalité sera étudiée uniquement sous l’angle du cinéma de Leni Riefensthal, à travers deux films, « Le Triomphe de la volonté » (A) et « Olympia » (B).
A : « Le triomphe de la volonté » (1935).
Nous avons déjà vu « le triomphe de la volonté » dans l’article sur le conditionnement en politique.

Il fut tourné en 1934 lors du meeting de Nuremberg par la réalisatrice allemande Leni Riefenstahl, qui mit son immense talent au service du mal. Ce film, comme celui que nous verrons ensuite, est un modèle du genre. Sans me tromper, je peux affirmer qu’il est considéré comme le plus grand documentaire politique de l’histoire.
Il contribue grandement à la création du mythe politique du saveur autour d’Adolf Hitler, par une habille mise en scène qui permet à tout le génie de Leni Riefensthal de s’exprimer. Elle le met en images dans l’introduction du documentaire. Un monument dont il est très difficile de ne pas sortir complètement envoûte. Un modèle du genre qu’il faut disséquer image par image pour comprendre les mécanismes psychologiques en jeu. Il sera d’ailleurs de prix cinématographique dans le monde entier. Cela est nécessaire pour conjurer l’envoûtement.
L’introduction comprend deux séquences : une série de carton de présentation du contexte (1) et un surval aérien de Nuremberg (2).
1. Les cartons de présentation.
Le film s’ouvre sur une étonnante série de carton censé expliquer aux spectateurs le contexte Une présentation qui va orienter la manière d’inerpréter les images qui suivront ensuite.
Nous avons huit cartons. Le premier (a), le deuxième (b), le troisième, le quatrième (c), le cinquième, le sixième, le septième (d) et le huitième (e).
a. Le premier carton.
Un premier carton comporte le texte suivant :
« Un documentaire au congrès du parti du Reich de 1934« .

Le texte ne parle pas du parti NSDAP, du parti national-socialiste ou plus simplement du Parti Nazi, mais du Parti du Reich. Il y a une identification du nazisme au Reich.
Le Reich, c’est l’empire allemand.
Il y eut le Premier Reich de 962 à 1806 (le Saint-Empire romain germanique) et le deuxième Reich de 1871 à 1918. Le film nous dit que désormais, c’est le règne du Troisième Reich. L’Empire allemand est de retour. Un simple mot va faire ressurgir de l’âme du peuple allemand des images tirées de l’histoire millénaire. C’est d’une grande habileté. Nous allons voir ensuite que tout va être fait pour mettre en avant la gloire passée de l’Allemagne impériale.
Cette idée de l’Empire germanique est renforcée par l’usage d’une calligraphie gothique.
b. Le deuxième carton.
Un deuxième carton continue la présentation :
« Produit sur l’ordre du Führer« .

Le « führer » est alors présenté comme le successeur des Empereurs germaniques, par association d’idées avec le terme « Reich » du carton précédent.
On nous dit également que ce documentaire a été produit sur « ordre » du « Führer ». Le « führer » donne des ordres et ses subordonnés les exécutent. C’est la mise en œuvre sous nos yeux du « führerprinzip ».
c. Les troisième et quatrième cartons.
Le troisième carton précise :
« réalisé par Leni Riefensthal« .
Le quatrième carton donne la date :
« 5 septembre 1934« .

C’est la contextualisation temporelle du film. Les scènes qui vont suivre ont eu lieu le 5 septembre 1934. A partir de cette date, la réalisatrice va établir un compte à rebours.
d.-Les cinquième, sixième et septième cartons.
Avec le cinquième carton :
« 20 ans après le début de la Guerre mondiale« .

Le film se déroule vingt ans après le début de la Première Guerre mondiale. C’est le début de l’engrenage fatal.
Le sixième carton continue le décompte temporel :
« 16 ans après le début de la douleur allemande« .

Seize ans avant 1934, c’est 1918, la date de l’armistice. C’est la défaite de l’Allemagne, qui débouchera sur la fin du deuxième Reich.
Le septième et avant-dernier carton précise:
« 19 mois depuis le début de la renaissance allemande« .

Dix-neuf mois, c’est un an et demi. Entre septembre 1934 et janvier 1933, il y a un an et demi. Au moment du congrès du NSDAP, Hitler est au pouvoir depuis un an et demi. Hitler, nommé chancelier, est présenté comme une « renaissance du peuple allemand ». C’est un moyen d’indiquer encore une fois que le gouvernement d’Adolf Hitler est la renaissance du Reich millénaire. C’est le fil rouge de l’introduction.
e. Le huitième carton.
Le huitième et dernier carton présente l’arrivée d’Adolf Hitler à Nuremberg.
« Adolf Hitler s’est à nouveau rendu à Nuremberg pour une parade militaire« .

Nuremberg n’a pas été choisi au hasard. C’est une cité impériale. Il tente encore une fois d’inscrire Adolf Hitler dans la continuité des empereurs du Saint-Empire romain germanique, de la même manière que Benito Mussolini a tenté d’inscrire ses pas dans ceux des Empereurs romains. Il y a un étonnant mimétisme entre Hitler et Mussolini.
Nuremberg est l’une des trois principales cités de l’Empire, avec Aix-la-Chapelle et Francfort. Elle était une ville libre impériale à l’intérieur de la Bavière. On disait que Nuremberg était la capitale de l’Empire. Une capitale officieuse.
En choisissant Nuremberg comme ville principale de ses meetings politiques, Adolf Hitler a tenté de récupérer le prestige impérial de la cité.
2. Le survol aérien de Nuremberg.
Après cette série de cartons censés contextualiser le documentaire, le film montre un avion qui survole des nuages, puis la ville de Nuremberg. On montre des monuments importants de la ville liés à son passé impérial. Nous voyons d’abord l’église de Saint-Lorenz (a), le château de Nuremberg (b) et la parade militaire dans les rues de Nuremberg (c).
a. L’église Saint-Lorenz.
On commence par voir le double clocher de l’église saint-Lorenz.

L’un des clochers porte un étendard impérial à trois couleurs (noir, blanc, rouge).

L’autre clocher supporte un étendard nazi.

L’un à côté de l’autre, montrés successivement, permet à la réalisatrice d’indiquer que le nazisme se situe dans la continuité du Saint-Empire romain germanique. La restauration dont il était question dans l’introduction, c’est la restauration de l’Empire, d’où le choix du nom de troisième Reich.
L’église Saint-Lorenz a été très gravement endommagée durant la Deuxième Guerre mondiale, mais restaurée à l’identique après la guerre. C’est une église dédiée au culte luthérien, même si la Bavière est plutôt de culture catholique, comme souvent au sud de l’Allemagne.

C’est dans la cathédrale saint-Lorenz que, à partir de 1424 et jusqu’en 1796, furent entreposés les regalia de la couronne impériale, c’est-à-dire la couronne, l’épée impériale, la sainte-lance ou l’orbe impérial. Aujourd’hui, ils sont à Vienne. On comprend l’intérêt de montrer cette église historique de l’empire allemand pavoisée des couleurs impériales et du troisième Reich.
b. Le château de Nuremberg.
C’est la même idée qui domine avec le monument suivant que survole l’avion. C’est le château de Nuremberg au-dessus duquel flotte le drapeau impérial.

C’est à l’intérieur du château que fut proclamée la Bulle d’Or par Charles IV (1346-1378) en 1356. Elle va donner à forme définitive au Saint-Empire romain germanique.

L’Empereur sera désormais élu par sept princes-électeurs :
- L’archevêque de Trêves.
- L’archevêque de Cologne.
- Le roi de Bohême
- Le Comte palatin du Rhin.
- Le duc de Saxe.
- Le margrave de Brandebourg.
- L’archevêque de Mayence.

La diète d’Empire se réunira à plusieurs reprises dans le château de Nuremberg.
La diète réunissait des représentants des corporations, des différents territoires de l’Empire afin de participer aux décisions les plus importantes. Comme l’étaient nos États généraux en France.
La diète se réunira sept fois à Nuremberg, de 1356 à 1543 :
- 1356 : sous Charles IV.
- 1487 : sous Frédéric III.
- 1522 : sous Charles Quint.
- 1522/1523 : sous Charles Quint.
- 1524 : sous Charles Quint.
- 1542 : sous Charles Quint.
- 1543 : sous Charles Quint.
A partir de 1594, la diète ne se réunira plus qu’à Ratisbonne. Elle deviendra perpétuelle à partir de 1663. Elle portera le nom de Reichstag.
c. La parade militaire.
Après avoir survolé les deux célèbres monuments de la Nuremberg impériale, la réalisatrice montre un avion survolant la ville. La scène la plus célèbre montre son ombre qui parcourt une avenue de la ville où se déroule un défilé militaire des troupes de la milice du parti.

Cela est censé évoquer aux spectateurs une mise en scène élaborée par le maître de la propagande allemande Josef Goebbels trois ans plus tôt. Le congrès de Nuremberg de 1934 est l’aboutissement d’une technique déjà bien en place. Il n’y a pas d’improvisation dans ce film. Trois ans d’observations et de modifications pour obtenir un résultat parfait.
Revenons en arrière.
1931. Goebbels organise à Brunswick le premier grand rassemblement du parti nazi, qui voit défiler plus de cent mille militants. C’est la préfiguration de ceux qui auront lieu à Nuremberg. C’est l’occasion d’améliorer et de corriger les erreurs.
D’abord Brunswick, n’est pas Nuremberg au niveau de la symbolique historique. Ensuite, un tel événement qui n’est pas filmé pour l’éternité n’existe pas dans la mémoire des gens.
Il y a enfin le tournant décisif en matière de propagande, que constitue la campagne présidentielle de 1932.
« D’importantes composantes du mythe Hitler se sont largement propagées pendant la campagne pour la présidence du Reich en mars et avril 1932, notamment au second tour, qui a opposé directement Hitler à Hindenburg. À cette occasion, le chef du NSDAP, qui avant 1929-1930 était encore, plus ou moins, un inconnu sur la scène politique nationale, a réussi à s’assurer plus de treize millions de voix – nettement plus du tiers des suffrages – et il est sorti de ce vote en candidat de stature comparable au vainqueur, le très respecté Feldmarschall de la Première Guerre mondiale, soutenu par l’ensemble des grands partis sauf le NSDAP et le KPD.
L’impact visuel de la propagande nazie a été frappant. Dans les derniers jours avant l’élection, tranchant délibérément avec les placards électoraux multicolores, est apparue dans toute l’Allemagne une affiche qui montrait le visage de Hitler sur un fond entièrement noir. Sans nuances, les slogans martelaient ce message : une voix pour Hitler est une voix pour le changement, une voix pour Hindenburg est une voix pour le statu quo. L’élection a été présentée comme une joute entre le représentant du « système » de Weimar et le Chef de la nouvelle et jeune Allemagne, « le Führer, le Prophète, le Combattant […] l’ultime espoir des masses, l’éclatant symbole de la volonté allemande de liberté », dans la rhétorique de Goebbels. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 44)
La campagne présidentielle de 1932 va être l’occasion d’utiliser, pour la première fois, des techniques de propagande, afin de créer un véritable culte de la personnalité autour d’Adolf Hitler.
La campagne va utiliser une affiche qui deviendra célèbre à travers l’histoire. Le visage d’Hitler sur un fond noir.

On retrouvera cette affiche dans le film « 1984 » sorti en 1984. Big Brother remplace Hitler.

En 2002, Jean-Marie Le Pen, arrivé au deuxième tour de la présidentielle, s’inspirera de l’affiche de 1932.
Ce qu’implique cette affiche, c’est que le nom du chef devient lui-même le slogan. Le chef devient lui-même le programme. En 1932, il n’y avait pas de télévision, pas d’Internet, les gens ne connaissaient pas autant les visages des hommes politiques que de nos jours où l’image sature l’espace public. Une telle campagne permet de faire connaître son visage. C’est une campagne de notoriété. Un visage iconique facile à retenir : une petite moustache, une mèche noire sur le front.

Ce que dit l’affiche, c’est un message simple et clair : « Voter Hitler, c’est voter pour un vrai chef« . » Voter pour Hitler, c’est voter pour le chef que le peuple attend pour sauver l’Allemagne ». C’est une tentative d’incarnation du mythe du sauveur dont nous avons parlé dans l’article précédent.
Dans la campagne de propagande de 1932, Hitler est présenté comme un instrument de la Providence pour sauver l’Allemagne et « Meine kampf » l’équivalent de la Bible.
Le deuxième tour va être l’occasion de tester une nouvelle technique de propagande, la campagne aérienne.
« La campagne du second tour de l’élection présidentielle, resserrée en une seule semaine avant l’élection du 10 avril, a été spectaculaire, avec de nouveaux progrès dans la fabrication du mythe Hitler. Largement annoncée, la « grande tournée de propagande du Führer à travers l’Allemagne » a eu lieu, pour la première fois dans l’histoire électorale, essentiellement par la voie des airs : Hitler avait loué un avion pour gagner ses réunions publiques dans tout le pays.
Dans la campagne du premier tour, où il s’était encore déplacé par la route, il avait parlé dans douze villes au cours d’une tournée de onze jours. En sillonnant le ciel dans son Deutschlandflug, dûment célébré par la propagande avec le slogan « Le Führer au-dessus de l’Allemagne », Hitler a pu s’adresser à de très grands rassemblements dans vingt villes différentes en six jours seulement.
Au cours de ses quatre campagnes « aéroportées » entre avril et novembre 1932, il s’est exprimé, en tout, dans 148 réunions publiques de masse, avec une moyenne de trois grands rassemblements par jour : il a souvent pris la parole devant des foules de 20 000 à 30 000 personnes dans les grandes villes, et s’est fait voir et entendre en personne, en cette seule année, littéralement par des millions d’Allemands. C’était incontestablement une performance remarquable en matière de discours de campagne, qui a permis à Hitler d’atteindre les masses comme aucun homme politique allemand ne l’avait fait avant lui. » (Ian Kershaw, Le mythe Hitler, p. 44)
Josef Goebbels va organiser une tournée aérienne du candidat, pour le second tour. l’avion permet de voyager rapidement d’une ville à l’autre et donc de multiplier les meetings. Cela donnera naissance au célèbre slogan « Le führer au-dessus de l’Allemagne« .
C’est la technique du survol aérien de Nuremberg qui sera utilisée dans « le triomphe de la volonté » pour montrer l’arrivée du führer.
B : « Olympia » (1938).
Terminons se très long article avec l’autre chef d’œuvre de Leni Riefensthal, « Olympia » tournée lors des Jeux olympiques de Berlin en 1936 et sortie au cinéma en 1938. Il se compose de deux films. Il va être l’occasion de mettre en scène le triomphe du nazisme et de son chef.
Au moment où j’écris ces lignes, les Jeux olympiques de Paris n’ont pas encore commencé par conte, au moment où vous le lirez, ils auront déjà eu lieu. Les jeux de Berlin furent l’occasion d’une intense propagande en faveur d’Hitler, ceux de Paris 2024 pourrait marquer l’apogée ou la chute d’un autre immonde dictateur, Emmanuel Macron.
L’ouverture du documentaire montre un autre aspect du régime hitlérien. Son lien avec la culture antique gréco-latine. Le titre du film est écrit en lettres latines évoquant l’Antiquité. Là où justement, « le triomphe de la volonté » voulait montrer la filiation avec la culture germanique.

La réalisatrice avait d’ailleurs tourné le film en plusieurs langues, dont le Français. Le titre français était « les dieux du stade« . A l’intérieur du documentaire, les épreuves sportives seront commentées en français par un acteur que l’on voit à l’image. Il en sera de même dans les autres langues. C’est une volonté de s’adresser directement aux différents pays du monde qui en dit long sur le professionnalisme de la réalisatrice.

Dans les cartons de présentation du film, nous trouvons une allusion « à la jeunesse du monde ». Etonnante allusion idéologique au nazisme qui met en avant la jeunesse. Nous dirions aujourd’hui qu’ils font du « jeunisme », c’est-à-dire le culte de la jeunesse. La jeunesse au pouvoir, c’est également l’idéologie derrière Emmanuel Macron. La jeunesse et l’immaturité permanente. L’inexpérience et l’incompétence permanente. Nous savons que le nom de son parti « La République En Marche » est une allusion à peine cachée à la marche sur Rome de Mussolini, comme je l’ai montré dans mon livre « la bête de l’événement« .

Le jeunisme, c’est le culte du corps et de la beauté. Un culte du corps que montre le documentaire en réalisant un parallèle entre les statues des athlètes grecs et ceux modernes des sportifs allemands. Il y a une continuité historique selon Leni Riefensthal que montre le fabuleux fondu enchaîné du discobole.

Un athlète allemand, le corps nu, prend la même position, puis se met en mouvement. Du grand art au niveau de la réalisation.

La mise en scène de la flamme olympique est spectaculaire dans le film. C’est un symbole apparu justement pour ces Jeux olympiques de 1936. Un athlète allemand allume la flamme en Grèce au milieu des ruines de temples antiques.

Il y a dans cette image toute une symbolique du feu transmis de relayeur en relayeur, du berceau de la civilisation européenne à Allemagne. Une Allemagne qui se prétend l’héritière païenne de cette Grèce antique. Une image forte qui impressionna beaucoup le spectateur.
La flamme est allumée au cœur de Berlin sous les yeux d’Adolf Hitler.
Un rituel qui se maintient de nos jours. Il a lieu tous les quatre ans durant les Jeux olympiques d’été ou d’hiver. Il fut inventé par le régime nazi et génialement mis en images par Leni Riefensthal.

L’une des images qui restera de ce documentaire outre le discobole et les victoires de Jesse Owens devant un Hitler médusé, c’est celle de la flamme olympique avec en arrière-plan la Porte de Brandebourg pavoisée de croix gammes. Une image glaçante qui montre comment le sport et les Jeux olympiques peuvent être détournés politiquement au profit d’un régime immonde. Espérons qu’il n’y aura pas le même genre de chose lors des jeux de Paris. Quoique, une chose est certaine, Emmanuel Macron n’a pas su mettre à son service une artiste aussi talentueuse que Leni Riefensthal pour le mettre en images. Le macronisme, c’est même l’inverse, moins tu as de talent, plus tu as de chance de travailler pour lui. Au moins, l’inculture généralisée de notre époque a du bon.

Lors de la cérémonie d’ouverture, chaque délégation défile dans le stade. Ce sera l’occasion pour la réalisatrice de montrer que le nazisme n’est pas seulement reconnu en Allemagne. Elle tente de montrer que les soutiens se multiplient dans le monde entier. On voit certaines délégations qui feront le salut nazi sous le regard de la caméra de Leni Riefensthal. Ce sera le cas des délégations Grecque, Italienne et française.

A chaque fois qu’une délégation fera un salut nazi, la réalisatrice, par un habile montage, montrera un Adolf Hitler souriant répondant par un salut nazi. Cela est censé induire que la délégation apporte son soutien à la personne même du Führer. Le montage permet de détourner la réalité.

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