Les mythes politiques dans la propagande soviétique (1917-1991).
Au sein de la propagande soviétique, nous devons distinguer la période léniniste et la période stalinienne. Lénine a utilisé de nombreux mythes politiques pour prendre le pouvoir. Nous n’en parlerons pas ici, afin de nous concentrer uniquement sur l’un des mythes les plus importants, celui du sauveur. C’est surtout durant la période stalinienne que le mythe politique du sauveur sera utilisé comme arme de propagande. C’est la mise en œuvre du culte de la personnalité.
Le culte de la personnalité stalinien fut dénoncé par Nikita Khrouchtchev lors du XXe congrès du Parti communiste.
« Durant la vie de Lénine, le Comité Central du Parti fut la réelle expression de la direction collective du Parti et de la nation. Etant un militant marxiste-révolutionnaire, toujours inflexible sur les questions de principe, Lénine n’imposa jamais par la force ses opinions à ses collaborateurs. Il essayait de les convaincre.
Staline n’agissait pas par persuasion, par explication et patiente collaboration avec autrui, mais en imposant ses idées et en exigeant une soumission absolue. Quiconque s’opposait à ses conceptions ou essayait d’expliquer son point de vue et l’exactitude de sa position était destiné à être retranché de la collectivité dirigeante et, par la suite, « liquidé » moralement et physiquement.
Il vaut la peine de signaler le fait que pendant que se déroulait la furieuse lutte idéologique contre les trotskistes, les zinovievistes, les boukhariniens et les autres, on n’avait jamais pris contre eux des mesures extrêmes de répression. La lutte se situait sur le terrain idéologique. Mais quelques années plus tard, alors que le socialisme était fondamentalement édifié dans notre pays, alors que les classes exploitantes étaient généralement liquidées, alors que la structure sociale soviétique avait radicalement changé, alors que la base sociale pour les mouvements et les groupes politiques hostiles au Parti s’était extrêmement rétrécie, alors que les adversaires idéologiques du Parti étaient depuis longtemps vaincus politiquement, la répression contre eux fut déclenchée.
Staline fut à l’origine de la conception de « l’ennemi du peuple ». Ce terme rendit automatiquement inutile d’apporter la preuve des erreurs idéologiques de l’homme ou des hommes engagés dans une controverse : il rendit possible l’utilisation de la répression la plus cruelle, violant toutes les normes de la légalité révolutionnaire, contre quiconque, de quelque manière que ce soit, était en désaccord avec Staline. Pour l’essentiel et en fait, la seule preuve de culpabilité dont il était fait usage, contre toutes les normes de la science juridique actuelle, était la « confession » de l’accusé lui-même, et, comme l’ont prouvé les enquêtes faites ultérieurement, les « confessions » étaient obtenues au moyen de pressions physiques sur l’accusé. Des arrestations et des déportations de plusieurs milliers de personnes, des exécutions sans procès et sans instruction normale, créèrent des conditions d’insécurité, de peur et même de désespoir.
(…)
Le danger menaçant suspendu sur notre patrie dans la première période de la guerre était dû en grande partie aux méthodes fautives de Staline lui-même, quant à la direction de la Nation et du Parti. Ceci pour le début de la guerre et l’extrême désorganisation de notre armée qui causa de si lourdes pertes. Mais longtemps après, la nervosité et l’hystérie dont Staline faisait preuve, s’opposant à l’efficacité des opérations militaires, pesèrent d’un poids considérable dans la balance (…). Ce n’est pas Staline, mais bien le Parti tout entier, le gouvernement soviétique, notre héroïque armée, ses chefs talentueux et ses braves soldats, la nation soviétique toute entière, qui ont remporté la victoire dans la grande guerre patriotique.
(Longue tempête d’applaudissements).
Camarades, venons-en à d’autres faits. L’Union soviétique est à juste titre considérée comme un modèle d’Etat multinational parce que nous avons, dans la pratique, assuré l’égalité des droits et l’amitié de toutes les nations qui vivent dans notre vaste Patrie. D’autant plus monstrueux sont les actes dont l’inspirateur fut Staline. Nous voulons parler des déportations en masse de nations entières (les Kalmouks, les Tchétchènes, les Ingouches, les Balkars), arrachées à la terre natale avec tous les communistes et komsomols sans exception. Les Ukrainiens n’évitèrent le même sort qu’à cause de leur trop grand nombre ; il n’y aurait jamais eu assez de place pour les déporter tous. Autrement, on n’aurait pas manqué de le faire.
(Hilarité et mouvements divers).
L’obstination de Staline se manifesta non seulement dans le domaine des décisions qui concernaient la vie intérieure du pays, mais également dans celui des relations internationales de l’Union soviétique. « L’affaire yougoslave » ne comportait aucun problème qui n’eût pu être résolu par des discussions entre camarades du Parti. Il n’existait pas de base sérieuse pour le développement de cette « affaire ». Il était parfaitement possible d’éviter la rupture de nos relations avec ce pays.
(…)
Et quand Staline affirme qu’il a lui-même écrit le Précis de l’histoire du PC (bolchevik) de l’Union Soviétique, on doit pour le moins s’en étonner. Convient-il à un marxiste-léniniste de se mettre ainsi en vedette et de se hausser jusqu’au ciel ? Mais, parlons un peu des prix Staline. Les tsars eux-mêmes n’ont jamais fondé de prix portant leurs noms. Staline a reconnu comme le meilleur texte d’hymne national de l’Union soviétique un poème qui ne contient pas un mot sur le Parti communiste ; mais il contient l’éloge sans précédent de Staline. Est-ce à l’insu de Staline que beaucoup des plus grandes villes et des plus grandes entreprises ont pris son nom ? Est-ce à son insu que des monuments à Staline ont été élevés dans tous le pays ? » (Extraits du rapport au XXème Congrès du Parti communiste de l’URSS, 24 février 1956. Cité par F.FETJÖ, Chine-URSS, le fin d’une hégémonie, Paris, Plon, 1964, pp. 244-272.)
Khrouchtchev dissèque le culte de la personnalité instauré par Staline. Un culte qui constitua la base de la propagande soviétique jusqu’à la disparition de l’URSS en 1991. Le culte de la personnalité fut instauré au début du stalinisme, entre 1926 et 1929 (I), un culte qui comporte un certains nombres d’éléments constitutifs (II).
I. L’instauration du culte de la personnalité (1926-1929).
L’instauration du culte de la personnalité par Staline va se faire à l’occasion d’une grande fête organisée pour ses cinquante ans (A), elle sera l’aboutissement d’un processus d’élimination de ses adversaires politiques au sein des institutions communistes (B).
A : Le cinquantième anniversaire de la naissance de Staline (1929).
L’acte de naissance du culte de la personnalité comme acte politique de propagande est intervenu le 21 décembre 1929 au moment des cérémonies du cinquantième anniversaire de la naissance de Staline. Staline est né le 18 décembre 1878, il a donc un peu plus de cinquante ans en 1929, lorsqu’il lance la grande fête qui doit marquer un tournant dans le régime.
Cela va être l’occasion de somptueuse célébration en son honneur. Il faut éblouir le public et la population. Il faut marquer les esprits.
Staline n’a pas inventé ce genre de pratique politique. Il ne fait que reprendre ce qui se pratiquait déjà sous le régime précédent des tsars.
La technique fut inventée par Louis XIV en France.
Des fêtes royales étaient organisées par les souverains français avant Louis XIV. Mais le roi Soleil va codifier la pratique et lui donner une signification politique particulière. Elles correspondaient à l’instauration de l’absolutisme royal. La personne du roi devient centrale et l’ensemble de la société s’organise autour de sa personne. Ce n’était pas le cas auparavant, il y avait une signification politique dans les carrousels, mais le roi occupait une place parmi d’autres acteurs dans le spectacle. Avec Louis XIV, la fête devient spectaculaire afin de montrer et de mettre en scène la puissance du roi et d’inciter la population à adhérer à la personne du roi. Nous étions déjà dans l’utilisation du conditionnement pour créer un mythe politique.
C’est ce que dit Louis XIV dans son « Mémoire pour l’instruction du Dauphin » en expliquant à son futur successeur l’importance politique des grandes fêtes.
« Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. Les peuples, d’un autre côté, se plaisent au spectacle où, au fond, on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l’égard des étrangers, dans un État qu’ils voient d’ailleurs florissant et bien réglé, ce qui se consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur. » (Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, Paris, Imprimerie nationale, 1992, 281 p. (ISBN 978-2-11-081230-8), p. 135)
Louis XIV explique que par ses fêtes, il tient l’esprit et le cœur de la population. Il ajoute en disant que cela permet de montrer un Etat bien tenu et bien réglé. Il conclut en disant que cela montre au peuple un Etat plein de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur. Une leçon politique que retiendra Joseph Staline pour son propre compte.
En 1662, lors de la fête dite du « Grand Carrousel » dans la cour des Tuileries, Louis XIV donna une grande fête en l’honneur de la naissance du dauphin. C’est l’occasion de mettre en œuvre les principes de la fête politique qu’il avait explosé l’année précédente dans son « mémoire ».

En 1664, c’est la première d’une longue série de grandes fêtes dans un château de Versailles encore en travaux. Auront lieu d’autres grandes fêtes en 1668, 1674 et 1697. La pratique se maintiendra sous Louis XV et Louis XVI. La Révolution française créera ses propres fêtes inspirées de celles de Louis XIV, dont la fameuse fête de la Fédération du 14 juillet 1790.
Les Romanov vont également réaliser le même genre de commémoration pour les grands anniversaires. En 1912, ils vont commémorer le centenaire de la campagne de Russie, en 1914, ce sont les célébrations du tricentenaire de la dynastie des Romanov. Deux fêtes qui donneront lieu à d’impressionnantes cérémonies.
C’est donc dans cette longue tradition que va puiser Staline pour l’anniversaire de ses cinquante ans.
B : L’élimination des adversaires (1924-1929).
Le choix de cette date, 1929, ne relève pas du hasard.
En effet, pour que le culte de la personnalité soit efficace, il ne faut aucune voix discordante. Il faut donc éliminer toute opposition.
1929 vient s’inscrire dans un processus d’élimination des opposants politiques. Un processus qui s’est étalé sur trois ans.
En 1924, Staline va éliminer Léon Trotski (1879-1940), en l’accusant d’hérésie lors du XIIIe congrès. Son visage sera effacé des photos officielles. Il sera exclu du parti en 1927 et déporté à Alma Ata en 1928, puis expulsé d’Union Soviétique en 1929.
En 1925, Grigori Zinoviev (1883-1936) et Lev Kamenev (1883-1936) vont s’allier contre Staline. Lors d’une réunion du Comité central puis au moment du XIVe congrès du Parti, ils vont demander le départ de Staline, sans obtenir gain de cause.
En 1926 et 1927, Staline va faire expulser de leurs fonctions politiques, puis du parti, Zinoviev et Kamenev. Ils seront poursuivis lors du premier procès de Moscou où ils seront condamnés à mort, puis exécutés en 1936.
Nikolaï Boukharine (1888-1938) dirige l’aile droite du Parti. Il va d’abord s’allier à Staline contre l’opposition de gauche. Mais il va ensuite subir les foudres du chef de l’URSS en 1929. Il sera exclu de toutes les instances dirigeantes. Comme pour les dirigeants de l’aile gauche, il sera victime des procès de Moscou et exécuté en 1938.
En 1929, il n’y a donc plus aucune opposition au sein du Parti communiste russe. Staline est seul au pouvoir. C’est pour cela que la situation politique est mûre pour l’instauration d’un culte de la personnalité, d’abord autour de Lénine à titre posthume, mort depuis quatre ans, puis ensuite sur la personne du chef du parti, Staline. Lorsqu’il existe des voix discordantes, la propagande est moins efficace en ce qui concerne le culte de la personnalité.
II. Contenu du culte de la personnalité stalinienne.
Nous devons nous intéresser aux mécanismes psychologiques derrière le culte de la personnalité. C’est la répétition de l’image du chef qui va constituer une sorte de conditionnement. A la vérité, le culte de la personnalité doit s’appuyer sur un mythe politique. Le conditionnement va répéter un mythe politique qui ensuite sera associé à une personne. Il faut rattacher le chef de l’Etat à un mythe politique et le répéter pour que cela influence la population. C’est la base de la propagande politique.
Il y a trois éléments :
- Un mythe politique.
- Répétition du mythe politique.
- Association du mythe politique à une personne.
Staline va utiliser cette technique avec un rare génie.
Il va comprendre que l’origine de la durée du tsarisme était fondée sur un rapport particulier entre le Tsar et le petit peuple. Ce rapport particulier était un mythe politique qui servait de fondement à la monarchie et lui a permis de durer dans le temps. Le Tsar était perçu par le peuple comme le père du peuple. Staline va donc appuyer son nouveau pouvoir sur l’idée qu’il est le petit père des peuples. (a)
Il va également comprendre que la Russie avait deux fondements : le Tsar et l’Église orthodoxe.
Il va reprendre de l’Église orthodoxe la pratique et le culte des icônes. Il va utiliser l’iconographie à son profit afin de donner une nature religieuse à son pouvoir (b).
Ce qui est important pour un homme politique, c’est de comprendre l’âme de son peuple et de l’utiliser à son profit. C’est un point essentiel de la propagande efficace. C’est ce qui va permettre au régime communiste de durer dans le temps et de susciter l’adhésion populaire. L’arme est redoutablement efficace.
A : Staline, petit père des peuples.
Staline va essayer de se faire passer pour un nouveau Tsar auprès du petit peuple. Ce qui constitue en quelque sorte une continuité dans la longue histoire de la Russie. Mais c’est également une rupture fondamentale dans l’histoire plus courte du parti bolchevique qui lui voulait rompre avec l’histoire monarchique du pays.
Le tsar était le père de la Nation russe, le père de son peuple. Cela donna naissance à l’expression « batiouchka » dans la langue russe, c’est-à-dire « le petit père du peuple ». C’est le nom affectueux que donnait le petit peuple au Tsar. Un surnom qui montre d’ailleurs le lien particulier qu’il pouvait exister entre le Tsar et son peuple, un lien affectueux avec un père qui protège ses enfants. C’est se qu’attend la population russe de son souverain.
Staline, avec une grande habileté, va tenter de reprendre à son compte ce rapport filial entre chef d’Etat et peuple en se faisant surnommé, « le petit père des peuples ». C’est une manière implicite de dire au pays qu’il est le nouveau Tsar après la mort tragique de Nicolas II. C’est fascinant de voir comment la reprise d’une simple expression peut venir raisonner si fort dans l’âme d’un peuple.
Staline va mettre au service de sa propagande le cinéma en utilisant le passé tsariste de la Russie. C’est ce que va faire Sergei Eisenstein à travers deux films sur la vie d’Ivan le Terrible. Deux chefs d’œuvres qu’il faut voir ou revoir sans modération. Le cinéma soviétique au sommet de son art.
Ces deux films, qui ont été commandés par le chef de l’État soviétique en personne, arrivent dans une période où Staline cherche justement à se poser comme un nouveau Tsar qui règne sur un immense empire russe reconstitué. Nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Avec l’attaque allemande contre l’Union Soviétique du 22 juin 1941, Staline va tenter de renouer avec la Russie royaliste dans toute une série de discours qui constitue un tournant majeur dans l’histoire du pays.
1 : Le discours du 3 juillet 1941.
Le discours du 3 juillet 1941 prononcé à la radio est, selon moi, l’un des plus grands discours politiques de tous les temps. Il est intéressant de voir comment Staline va se positionner dans la longue histoire de la Russie millénaire et en appeler aux forces surgit des profondeurs du passé. C’est à ce moment-là que sa légende va se créer, car il a su puiser dans les mythes politiques fondateurs de la Russie pour y trouver sa propre légitimité.
« Camarades ! Citoyens !
Frères et Sœurs !
Combattants de notre armée et de notre flotte !
Je m’adresse à vous, mes amis !La perfide agression militaire de l’Allemagne hitlérienne, commencée le 22 juin, se poursuit contre notre Patrie.
Malgré la résistance héroïque de l’Armée rouge, et bien que les meilleures divisions de l’ennemi et les unités les meilleures de son aviation aient déjà été défaites et aient trouvé la mort sur les champs de bataille, l’ennemi continue a se ruer en avant, jetant sur le front des forces nouvelles.
Les troupes hitlériennes ont pu s’emparer de la Lituanie, d’une grande partie de la Lettonie, de la partie ouest de la Biélorussie, d’une partie de l’Ukraine occidentale.
L’aviation fasciste étend l’action de ses bombardiers, en soumettant au bombardement Mourmansk, Orcha, Moguilev, Smolensk, Kiev, Odessa, Sébastopol.
Un grave danger pèse sur notre Patrie.
Comment a-t-il pu se faire que notre glorieuse Armée rouge ait abandonné aux troupes fascistes une série de nos villes et régions ?
Les troupes fascistes allemandes sont-elles vraiment invincibles comme le proclament sans cesse à cor et a cri les propagandistes fascistes fanfarons ?
Non, bien sûr.
L’histoire montre qu’il n’a jamais existé et qu’il n’existe pas d’armées invincibles.
On estimait que l’armée de Napoléon était invincible.
Mais elle a été battue successivement par les troupes russes, anglaises, allemandes.
L’armée allemande de Guillaume, au cours de la première guerre impérialiste, était également considérée comme une armée invincible ; mais elle s’est vu infliger mainte défaite par les troupes russes et anglo-françaises, et elle a été finalement battue par les troupes anglo-françaises.
Il faut en dire autant de l’actuelle armée allemande fasciste de Hitler.
Elle n’avait pas encore rencontré de sérieuse résistance sur le continent européen.
C’est seulement sur notre territoire qu’elle a rencontré une résistance sérieuse.
Et si a la suite de cette résistance les meilleures divisions de l’armée fasciste allemande ont été battues par notre Armée rouge, c’est que l’armée fasciste hitlérienne peut également être battue et le sera comme le furent les armées de Napoléon et de Guillaume.
Qu’une partie de notre territoire se soit néanmoins trouvée envahie par les troupes fascistes allemandes, cela s’explique surtout par le fait que la guerre de l’Allemagne fasciste contre l’URSS a été déclenchée dans des conditions avantageuses pour les troupes allemandes et désavantageuses pour les troupes soviétiques.
En effet, les troupes de l’Allemagne, comme pays menant la guerre, avaient été entièrement mobilisées.
170 divisions lancées par l’Allemagne contre l’URSS et amenées aux frontières de ce pays se tenaient entièrement prêtes, n’attendant que le signal pour se mettre en marche.
Tandis que, pour les troupes soviétiques, il fallait encore les mobiliser et les amener aux frontières.
Chose très importante encore, c’est que l’Allemagne fasciste a violé perfidement et inopinément le pacte de non-agression conclu, en 1939, entre elle et l’URSS sans vouloir tenir compte qu’elle serait regardée par le monde entier comme l’agresseur.
On conçoit que notre pays pacifique, qui ne voulait pas assumer l’initiative de la violation du pacte, ne pouvait s’engager sur ce chemin de la félonie.
On peut nous demander : comment a-t-il pu se faire que le Gouvernement soviétique ait accepté de conclure un pacte de non-agression avec des félons de cette espèce et des monstres tels que Hitler en Ribbentrop ?
Le Gouvernement soviétique n’a-t-il pas en l’occurrence commis une erreur ?
Non, bien sûr.
Le pacte de non-agression est un pacte de paix entre deux Etats.
Et c’est un pacte de ce genre que l’Allemagne nous avait proposé en 1939.
Le Gouvernement soviétique pouvait-il repousser cette proposition ?
Je pense qu’aucun Etat pacifique ne peut refuser un accord de paix avec une Puissance voisine, même si a la tête de cette dernière se trouvent des monstres et des cannibales comme Hitler et Ribbentrop.
Cela, bien entendu, a une condition expresse : que l’accord de paix ne porte atteinte, ni directement ni indirectement, a l’intégrité territoriale, a l’indépendance et a l’honneur de l’Etat pacifique.
On sait que le pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS était justement un pacte de ce genre.
Qu’avons-nous gagné en concluant avec l’Allemagne un pacte de non-agression ?
Nous avons assuré a notre pays la paix pendant un an et demi et la possibilité de préparer nos forces a la riposte au cas où l’Allemagne fasciste se serait hasardée a attaquer notre pays en dépit du pacte.
C’est la un gain certain pour nous et une perte pour l’Allemagne fasciste.
Qu’est-ce que l’Allemagne fasciste a gagné et qu’est-ce qu’elle a perdu, en rompant perfidement le pacte et en attaquant l’URSS ?
Elle a obtenu ainsi un certain avantage pour ses troupes pendant un court laps de temps, mais elle a perdu au point de vue politique, en se démasquant aux yeux du monde comme un agresseur sanglant.
Il est hors de doute que cet avantage militaire de courte durée n’est pour l’Allemagne qu’un épisode, tandis que l’immense avantage politique de l’URSS est un facteur sérieux et durable, appelé à favoriser les succès militaires décisifs de l’Armée rouge dans la guerre contre l’Allemagne fasciste.
Voilà pourquoi toute notre vaillante armée, toute notre vaillante flotte navale, tous nos aviateurs intrépides, tous les peuples de notre pays, tous les meilleurs hommes d’Europe, d’Amérique et d’Asie, enfin tous les meilleurs hommes de l’Allemagne flétrissent l’action perfide des fascistes allemands et sympathisent avec le Gouvernement soviétique, approuvent la conduite du Gouvernement soviétique et se rendent compte que notre cause est juste, que l’ennemi sera écrasé, et que nous vaincrons.
La guerre nous ayant été imposée, notre pays est entré dans un combat a mort avec son pire et perfide ennemi, le fascisme allemand. Nos troupes se battent héroïquement contre un ennemi abondamment pourvu de chars et d’aviation.
L’Armée et la Flotte rouges, surmontant de nombreuses difficultés, se battent avec abnégation pour chaque pouce de terre soviétique.
Les forces principales de l’Armée rouge, pourvues de milliers de chars et d’avions, entrent en action. La vaillance des guerriers de l’Armée rouge est sans exemple. La riposte que nous infligeons a l’ennemi s’accentue et se développe. Aux côtés de l’Armée rouge le peuple soviétique tout entier se dresse pour la défense de la Patrie.
Que faut-il pour supprimer le danger qui pèse sur notre Patrie et quelles mesures faut-il prendre pour écraser l’ennemi ?
Il faut tout d’abord que nos hommes, les hommes soviétiques, comprennent toute la gravité du danger qui menace notre pays et renoncent a la quiétude et a l’insouciance, a l’état d’esprit qui est celui du temps de la construction pacifique, état d’esprit parfaitement compréhensible avant la guerre, mais funeste aujourd’hui que la guerre a radicalement changé la situation.
L’ennemi est cruel, inexorable.
Il s’assigne pour but de s’emparer de nos terres arrosées de notre sueur, de s’emparer de notre blé et de notre pétrole, fruits de notre labeur.
Il s’assigne pour but de rétablir le pouvoir des grands propriétaires fonciers, de restaurer le tsarisme, d’anéantir la culture et l’indépendance nationales des Russes, Ukrainiens, Biélorussiens, Lituaniens, Lettons, Estoniens, Ouzbeks, Tatars, Moldaves, Géorgiens, Arméniens, Azerbaidjans et autres peuples libres de l’Union soviétique ; de les germaniser, d’en faire les esclaves des princes et des barons allemands.
Il s’agit ainsi de la vie ou de la mort de l’Etat soviétique, de la vie ou de la mort des peuples de l’URSS ; il s’agit de la liberté ou de la servitude des peuples de l’Union soviétique.
Il faut que les hommes soviétiques le comprennent et cessent d’être insouciants ; qu’ils se mobilisent et réorganisent tout leur travail selon un mode nouveau, le mode militaire, qui ne ferait pas quartier a l’ennemi.
Il faut aussi qu’il n’y ait point de place dans nos rangs pour les pleurnicheurs et les poltrons, les semeurs de panique et les déserteurs ; que nos hommes soient exempts de peur dans la lutte et marchent avec abnégation dans notre guerre libératrice pour le salut de la Patrie, contre les asservisseurs fascistes.
Le grand Lénine, qui a créé notre Etat, a dit que la qualité essentielle des hommes soviétiques doit être le courage, la vaillance, l’intrépidité dans la lutte, la volonté de se battre aux côtés du peuple contre les ennemis de notre Patrie.
Il faut que cette excellente qualité bolchevique devienne celle des millions et des millions d’hommes de l’Armée rouge, de notre Flotte rouge et de tous les peuples de l’Union soviétique.
Il faut immédiatement réorganiser tout notre travail sur le pied de guerre, en subordonnant toutes choses aux intérêts du front et à l’organisation de l’écrasement de l’ennemi.
Les peuples de l’Union soviétique voient maintenant que le fascisme allemand est inexorable dans sa rage furieuse et dans sa haine contre notre Patrie qui assure a tous les travailleurs le travail libre et le bien-être.Les peuples de l’Union soviétique doivent se dresser pour la défense de leurs droits, de leur terre, contre l’ennemi.
L’Armée et la Flotte rouges ainsi que tous les citoyens de l’Union soviétique doivent défendre chaque pouce de la terre soviétique, se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour nos villes et nos villages, faire preuve de courage, d’initiative et de présence d’esprit, – toutes qualités propres a notre peuple.
Il nous faut organiser une aide multiple a l’Armée rouge, pourvoir a son recrutement intense, lui assurer le ravitaillement nécessaire, organiser le transport rapide des troupes et des matériels de guerre, prêter un large secours aux blessés.
Il nous faut affermir l’arrière de l’Armée rouge, en subordonnant a cette œuvre tout notre travail ; assurer l’intense fonctionnement de toutes les entreprises ; fabriquer en plus grand nombre fusils, mitrailleuses, canons, cartouches, obus, avions ; organiser la protection des usines, des centrales électriques, des communications téléphoniques et télégraphiques ; organiser sur place la défense antiaérienne.
II nous faut organiser une lutte implacable contre les désorganisateurs de l’arrière, les déserteurs, les semeurs de panique, les propagateurs de bruits de toutes sortes, anéantir les espions, les agents de diversion, les parachutistes ennemis en apportant ainsi un concours rapide à nos bataillons de chasse.
Il ne faut pas oublier que l’ennemi est perfide, rusé, expert en l’art de tromper et de répandre de faux bruits.
De tout cela il faut tenir compte et ne pas se laisser prendre à la provocation.
Il faut immédiatement traduire devant le Tribunal militaire, sans égard aux personnalités, tous ceux qui, semant la panique et faisant preuve de poltronnerie, entravent l’œuvre de la défense.
En cas de retraite forcée des unités de l’Armée rouge, il faut emmener tout le matériel roulant des chemins de fer, ne pas laisser à l’ennemi une seule locomotive ni un seul wagon ; ne pas laisser a l’ennemi un seul kilogramme de blé, ni un litre de carburant.
Les kolkhoziens doivent emmener tout leur bétail, verser leur blé en dépôt aux organismes d’Etat qui l’achemineront vers les régions de l’arrière.
Toutes les matières de valeur, y compris les métaux non ferreux, le blé et le carburant qui ne peuvent être évacués doivent être absolument détruites.
Dans les régions occupées par l’ennemi il faut former des détachements de partisans à cheval et à pied, des groupes de destruction pour lutter contre les unités de l’armée ennemie, pour attiser la guérilla en tous lieux, pour faire sauter les ponts et les routes, détériorer les communications téléphoniques et télégraphiques, incendier les forêts, les dépôts, les convois.
Dans les régions envahies il faut créer des conditions insupportables pour l’ennemi et tous ses auxiliaires, les poursuivre et les détruire a chaque pas, faire échouer toutes les mesures prises par l’ennemi.
On ne peut considérer la guerre contre l’Allemagne fasciste comme une guerre ordinaire.
Ce n’est pas seulement une guerre qui se livre entre deux armées. C’est aussi la grande guerre du peuple soviétique tout entier contre les troupes fascistes allemandes.
Cette guerre du peuple pour le salut de la Patrie, contre les oppresseurs fascistes, n’a pas seulement pour objet de supprimer le danger qui pèse sur notre pays, mais encore d’aider tous les peuples d’Europe qui gémissent sous le joug du fascisme allemand.
Nous ne serons pas seuls dans cette guerre libératrice.
Nos fidèles alliés dans cette grande guerre, ce sont les peuples de l’Europe et de l’Amérique y compris le peuple allemand qui est asservi par les meneurs hitlériens.
Notre guerre pour la liberté de notre Patrie se confondra avec la lutte des peuples d’Europe et d’Amérique pour leur indépendance, pour les libertés démocratiques.
Ce sera le front unique des peuples qui s’affirment pour la liberté contre l’asservissement et la menace d’asservissement de la part des armées fascistes de Hitler.
Ceci étant, le discours historique prononcé par le Premier ministre de Grande-Bretagne, Monsieur Churchill, sur l’aide à prêter à l’Union soviétique et la déclaration du gouvernement des Etats-Unis se disant prêt à accorder toute assistance a notre pays ne peuvent susciter qu’un sentiment de reconnaissance dans le cœur des peuples de l’Union soviétique ; ce discours et cette déclaration sont parfaitement compréhensibles et significatifs.
Camarades, nos forces sont incalculables.
L’ennemi présomptueux s’en convaincra bientôt.
Aux côtés de l’Armée rouge se lèvent des milliers d’ouvriers, de kolkhoziens et d’intellectuels pour la guerre contre l’agresseur.
On verra se lever les masses innombrables de notre peuple.
Déjà les travailleurs de Moscou et de Leningrad, pour appuyer l’Armée rouge, ont entrepris d’organiser une milice populaire forte de milliers et de milliers d’hommes.
Cette milice populaire, il faut la créer dans chaque ville que menace le danger d’une invasion ennemie ; il faut dresser pour la lutte tous les travailleurs qui offriront leurs poitrines pour défendre leur liberté, leur honneur, leur pays, dans notre guerre contre le fascisme allemand, pour le salut de la Patrie.
Afin de mobiliser rapidement toutes les forces des peuples de l’URSS, en vue d’organiser la riposte a l’ennemi qui a attaqué perfidement notre Patrie, il a été formé un Comité d’Etat pour la Défense, qui détient maintenant la plénitude du pouvoir dans le pays.
Le Comité d’Etat pour la Défense a commencé son travail, il appelle le peuple entier a se rallier autour du Parti de Lénine et de Staline, autour du Gouvernement soviétique, pour soutenir avec abnégation l’Armée et la Flotte rouges, pour écraser l’ennemi, pour remporter la victoire.
Toutes nos forces pour le soutien de notre héroïque Armée rouge, de notre glorieuse Flotte rouge !
Toutes les forces du peuple pour écraser l’ennemi !
En avant vers notre victoire ! »
Il faut écouter l’enregistrement sur youtube pour comprendre l’angoisse qui transparaît dans la voix de Joseph Staline. On sent que le destin personnel du chef de l’Etat et de son régime se joua lors de ces semaines décisives. L’attaque fut lancée le 22 juin, mais ce ne fut que le 3 juillet qu’il prendra solennellement la parole publiquement. Il est désemparé et sidéré par l’attaque, et cela se sent dans le ton de sa voix, mais également dans les mots d’une incroyable force qu’il va employer pour faire réagir le peuple soviétique. On le sent bien, car il détache chaque mot, chaque phrase, il parle lentement et calmement, ce qui est un signe de sidération.
Au niveau de la rhétorique, il va jouer sur la menace existentielle pour le régime soviétique et pour la Russie. « Un grave danger pèse sur notre Patrie« , « Notre pays est entré dans un combat a mort avec son pire et perfide ennemi, le fascisme allemand », « Il s’agit ainsi de la vie ou de la mort de l’Etat soviétique, de la vie ou de la mort des peuples de l’URSS « .
Il va ensuite insister pour que la population doive « défendre chaque pouce de la terre soviétique, se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour nos villes et nos villages, indiquant que « ce n’est pas seulement une guerre qui se livre entre deux armées. C’est aussi la grande guerre du peuple soviétique tout entier contre les troupes fascistes allemandes.
Il parle de manière évidente du peuple soviétique en lieu et place du peuple russe. Il n’est pas question de Russie, mais d’Union Soviétique. Il faut défendre le régime soviétique et exclusivement le régime soviétique. Le discours est sans ambiguïté sur ce point. Mais il parvient à glisser quelques références à la gloire passée de la Russie. Il évoque la victoire contre Napoléon en 1812, à la résistance russe lors de la Première Guerre mondiale. En 1812 comme en 1914, la Russie était dirigée par un Tsar. Il y a donc une référence indirecte à la période tsariste qui peut paraître étonnante. Ce n’est en réalité que le début d’un long processus qui va aboutir à amener le peuple à considérer Staline comme un nouveau Tsar russe.
2 : Le discours du 7 novembre 1941.
Le 7 novembre 1941, l’armée allemande est aux portes de Moscou. L’heure est plus grave que jamais. Un péril mortel menace le régime soviétique. Staline décide quand même de maintenir le défilé militaire de l’armée sur la place Rouge à l’occasion du vingt-quatrième anniversaire de la Révolution d’Octobre. A cette occasion, il va prononcer un discours où il va de manière explicite faire appel aux anciennes gloires de la Russie des tsars pour obtenir la victoire contre le nazisme.
« Camarades soldats et marins rouges, commandants et travailleurs politiques, ouvriers et ouvrières, kolkhoziens et kolkhoziennes, travailleurs intellectuels, frères et sœurs qui, à l’arrière de notre ennemi, êtes tombés momentanément sous le joug des bandits allemands, − nos glorieux partisans et partisanes − qui détruisez les arrières des envahisseurs allemands !
Au nom du Gouvernement soviétique et de notre Parti bolchevik, je vous salue et vous félicite à l’occasion du 24e anniversaire de la Grande Révolution socialiste d’Octobre.
Camarades, nous célébrons aujourd’hui le 24e anniversaire de la Révolution d’Octobre en une heure très grave. L’agression perfide des bandits allemands et la guerre qu’ils nous ont imposée mettent en péril notre pays. Nous avons perdu temporairement une série de régions. L’ennemi est aux portes de Leningrad et de Moscou. Il comptait qu’au premier choc notre armée serait dispersée et notre pays mis à genoux. Mais l’ennemi s’est cruellement trompé. Malgré les insuccès temporaires, notre année et notre flotte repoussent héroïquement les attaques ennemies sur toute la ligne du front, lui infligeant de lourdes pertes ; et notre pays − tout notre pays, − a formé un seul camp de guerre pour assurer, de concert avec notre armée et notre flotte, la débâcle des envahisseurs allemands.
Il y a eu des jours où notre pays connut une situation encore plus pénible. Rappelez-vous l’année 1918, date à laquelle nous célébrions notre premier anniversaire de la Révolution d’Octobre. Les trois quarts de notre pays se trouvaient alors aux mains de l’intervention étrangère. Nous avions momentanément perdu l’Ukraine, le Caucase, l’Asie centrale, l’Oural, la Sibérie, l’Extrême-Orient. Nous n’avions pas d’alliés, nous n’avions pas d ’Armée rouge, − nous étions seulement en train de la créer ; nous manquions de blé, d’armement, d’équipements. 14 Etats enserraient notre pays, mais nous ne nous laissions pas décourager, ni abattre. C’est dans le feu de la guerre que nous organisions alors notre Armée rouge et avions changé notre pays en un camp retranché. L’esprit du grand Lénine nous inspirait alors pour une guerre contre l’intervention étrangère. Et qu’est-il advenu ?
Nous avons battu l’intervention, récupéré tous les territoires perdus et obtenu la victoire.
Maintenant la situation de notre pays est bien meilleure qu’il y a vingt-trois ans. Notre pays est de beaucoup plus riche, maintenant en industrie, en denrées alimentaires et en matières premières, qu’il y a vingt-trois ans. Nous avons maintenant des alliés qui forment avec nous un front unique contre les envahisseurs allemands. Nous jouissons maintenant de la sympathie et du soutien de tous les peuples d’Europe tombés sous le joug de la tyrannie hitlérienne. Nous possédons maintenant une armée remarquable et une remarquable flotte, qui font un rempart de leurs corps pour sauvegarder la liberté et l’indépendance de notre Patrie. Nous n’éprouvons pas un sérieux manque de produits alimentaires, ni d’armement, ni d’équipements. Tout notre pays, tous les peuples de notre pays soutiennent notre armée, notre flotte ; ils les aident à battre les hordes d’invasion des fascistes allemands. Nos réserves en hommes sont inépuisables. L’esprit du grand Lénine et son victorieux drapeau nous exaltent aujourd’hui, comme il y a vingt-trois ans, dans la guerre pour le salut de la Patrie.
Peut-on douter que nous pouvons et devons vaincre les envahisseurs allemands ?
L’ennemi n’est pas aussi fort que le représentent certains intellectuels apeurés. Le diable n’est pas si noir qu’on le fait. Qui peut nier que notre Armée rouge ait plus d’une fois mis en fuite les fameuses troupes allemandes prises de panique ? Si l’on en juge non pas d’après les déclarations fanfaronnes des propagandistes allemands, mais d’après la situation véritable de l’Allemagne, on comprendra sans peine que les envahisseurs fascistes allemands sont à la veille d’une catastrophe. La famine et la misère règnent actuellement en Allemagne ; en quatre mois de guerre l’Allemagne a perdu 4.500.000 soldats, son sang coule à flots, ses réserves en hommes sont près de s’épuiser, l’esprit d’indignation s’empare non seulement des peuples de l’Europe tombés sous le joug des envahisseurs allemands, mais aussi du peuple allemand lui-même, qui n’aperçoit pas la fin de la guerre. Les envahisseurs allemands tendent leurs dernières forces. Il est hors de doute que l’Allemagne ne peut soutenir longtemps une tension pareille. Encore quelques mois, encore six mois, peut-être une petite année, et l’Allemagne hitlérienne devra crouler sous le poids de ses forfaits.
Camarades soldats et marins rouges, commandants et travailleurs politiques, partisans et partisanes ! Le monde entier voit en vous une force capable d’anéantir les hordes d’invasion des bandits allemands. Les peuples asservis de l’Europe, tombés sous le joug des envahisseurs allemands, vous regardent comme leurs libérateurs, Une grande mission libératrice vous est dévolue. Soyez donc dignes de cette mission. La guerre que vous menez est une guerre libératrice, une guerre juste. Puisse vous inspirer dans cette guerre le glorieux exemple de nos grands ancêtres Alexandre Nevski, Dimitri Donskoï, Kouzma Minin, Dimitri Pojarski, Alexandre Souvorov, Mikhaïl Koutouzov ! Que le drapeau victorieux du grand Lénine vous rallie sous ses plis ! »
Après avoir récité le discours habituel sur les anciennes gloires de l’Armée rouge en 1918, Staline va évoquer en toute fin de discours le passé tsariste de la Russie en citant un certain nombre de « grands ancêtres » qui vont faire vibrer la fibre patriotique de l’ensemble des Russes, qu’ils soient communistes ou monarchistes.
« Une grande mission libératrice vous est dévolue. Soyez donc dignes de cette mission. La guerre que vous menez est une guerre libératrice, une guerre juste. Puisse vous inspirer dans cette guerre le glorieux exemple de nos grands ancêtres Alexandre Nevski, Dimitri Donskoï, Kouzma Minin, Dimitri Pojarski, Alexandre Souvorov, Mikhaïl Koutouzov ! «
Il est question d’Alexandre Nevski, de Dimitri Donskoï, de Kouzma Minin, de Dimitri Pojarski, d’Alexandre Souvorov et de Mikhail Koutouziv.
Alexandre Nevski (1220-1263) est un héros national russe qui devint saint de l’Eglise orthodoxe. D’ailleurs, plusieurs églises en Russie portent son nom. Il remporta de nombreuses batailles contre les Suédois et les chevaliers teutoniques. Sergei Eisenstein tourna un film sur sa vie en 1938, ce qui montrait déjà l’intérêt de Staline pour son personnage avant la Deuxième Guerre mondiale. Le film montre le combat d’Alexandre Nevski contre les chevaliers teutoniques qui sont les ancêtres des Allemands actuels.

Dimitri Donskoï (1350-1389) est également un saint de l’orthodoxie qui libéra la Russie du joug tataro-mongole lors de la bataille de Koulikovo, le 8 septembre 1380.
Même de nos jours, lorsque vous visitez la place rouge, vous pouvez voir une statue de Mimine et Pojarski devant la merveilleuse église de Basile le Bienheureux (une église dont les dômes ressemblent à des cônes de glace.

Kouzma Minin (1570-1616) et Dimitri Pojarski (1577-1642) vont former l’alliance du petit peuple et de la noblesse russe pour mettre fin au temps des troubles, c’est-à-dire à la période de guerre civile et de désordre qui eut lieu après la mort d’Ivan le Terrible et jusqu’au rétablissement de l’ordre avec l’arrivée sur le trône de Michel Romanov.
Alexandre Souvorov (1730-1800) fut un général russe qui ne connut jamais la défaite. Il mena des guerres contre les Ottomans, les Polonais ou participa à la campagne d’Italie contre Napoléon.
Enfin, en parlant de Napoléon, Mikhaïl Koutouzov (1745-1813) mena la campagne de Russie avec succès contre l’Empereur des Français.
3 : « Ivan le Terrible » (1944) de Sergei Eisenstein.
Désormais, Staline cherche à se présenter comme le continuateur de la Russie impériale en empruntant à son profit toutes les gloires du passé tsariste. C’est à ce moment-là qu’il va utiliser le cinéma pour tourner des films sur l’histoire de la Russie d’avant 1917. Il va demander à Eisenstein de tourner une série de films en hommage à Ivan IV le Terrible. Nous sommes en 1945. L’URSS a triomphé du nazisme et Staline est au sommet de sa gloire.
Le premier film s’ouvre sur le sacre d’Ivan. Une séquence qui va marquer tous les esprits et restera dans l’histoire du cinéma pour ses décors, son impressionnante mise en scène et surtout la musique de Sergei Prokofiev. Eisenstein est au sommet de son art.
Le réalisateur tente un étonnant parallèle entre Ivan le Terrible et Staline. Sous-entendant de manière implicite que Staline est le continuateur du Tsar.
Avant même le couronnement, le public voit s’afficher une série de panneaux qui indique qu’Ivan le Terrible a été l’unificateur de la Russie contre les ennemis de la Russie ». Puis c’est un gros plan sur la couronne de Tsar posée sur un coussin.

Puis, au côté de la couronne se trouve le globe surmonté d’une croix, attribut habituel des Tsars.

Ensuite, Ivan passe la porte de l’église où l’attend une haie d’honneur de prêtres en tenue avec croix et bougies.

Puis la foule qui représente le peuple s’incline devant son futur Tsar.

Il va recevoir la couronne du métropolite de Moscou.

Mais il va se mettre lui-même la couronne sur la tête, comme le fera Napoléon au sacre de Notre-dame.

Nous voyons une mise en scène très particulière d’Eisenstein qui décide de ne pas montrer l’onction avec l’huile sainte et de lui préférer l’image d’un Tsar qui se met lui-même la couronne sur la tête, afin de bien montrer qu’il ne doit son titre de Tsar de Russie qu’à lui-même. L’Eglise accompagne le souverain, l’entoure, mais reste à son service.

Le peuple qui s’agenouille est soumis au Tsar. Il est passif et simple spectateur inférieur devant le pouvoir qui se met en scène devant lui.
C’est une relecture particulière de la mise en scène du pouvoir royal en Russie, afin d’être conforme à l’image que souhaite en donner Staline. Ce qui frappe dans la mise en scène du sacre, c’est la solitude d’Ivan face au pouvoir, comme ce sera le cas de Staline durant son règne.
Le deuxième film tourné en même temps que le premier montre un Tsar vieillissant et affaibli qui va fortement déplaire à Staline. Il s’opposera à sa diffusion auprès du public. Le film ne sera projeté dans les salles soviétiques qu’après la mort de Staline et le XXe congrès. Pourtant, la critique du pouvoir autoritaire et solitaire de Staline était déjà présente de manière plus subtile dans le premier volet. La splendeur de la mise en scène du couronnement flatta l’ego de Staline qui n’osa pas le censurer.
Il faudra attendre treize ans pour que soit tourné une suite au film. Le deuxième date de 1958. C’est le dernier film de Sergei Eisenstein. Il mourra trois ans plus tard, en 1948. Ce ne sera pas le dernier génie du cinéma soviétique, nous parlerons ensuite d’Andreï Tarkovski qui mettra merveilleusement en image l’autre aspect de la propagande politique comme mythe politique.
B : Staline et l’iconographie.
1 : Importance de l’icône dans la religion orthodoxe.
Staline a également puisé sa mise en scène du culte de la personnalité dans un autre fondement psychologique de la Russie éternelle, l’iconographie. Il n’y a pas de Russie sans son iconographie. Qui a déjà visité la Russie ne peut que le constater avec moi. Il n’y a pas une église, une cathédrale où vous ne trouvez pas, même de nos jours, une jeune fille ou un jeune homme en train de peindre une copie d’une icône dont il prend modèle. Cela m’a toujours impressionné, car c’est tellement éloigné de ma culture française.
J’ai parcouru la Russie pendant des années. Moins de nos jours, je n’ai plus d’argent pour le faire. Hélas. Mais cela n’a sûrement pas dû changer. Voici par exemple une photo prise par mes soins en 2011 à Rostov-le-Grand.


C’est dans ce vieil imaginaire russe que Staline va puiser son idée d’utiliser des images de lui au service de sa propagande. Cela renvoi aux cultes des saints et des icônes si typiques de l’orthodoxie. Une bonne campagne de propagande doit toujours s’appuyer sur un puissant arrière-fond historique. Il faut connaître les racines profondes du peuple et savoir en jouer. Staline était passé maître dans ce domaine.
Nous sommes déjà dans le domaine du mythe politique et de la manière dont on peut faire naître un sauveur. Dans le cadre de la propagande, la construction du mythe doit non seulement prendre sa source dans la pensée profonde d’un peuple, mais il doit le répéter afin de conditionner la population.
L’image de Staline va être diffusée sur l’ensemble de l’espace public, par l’intermédiaire des médias de masse (radio, télévision, cinéma), par l’art ou la littérature.
Regardons par exemple comment la foule porte religieusement le portrait de Staline comme une icône.

Nous retrouvons le même type d’image sur le célèbre tableau d’Illarion Prianichnikov représentant une procession avec des icônes à Koursk.

Le parallèle est vraiment frappant.
J’ai moi-même été témoin à plusieurs reprises de ce genre de procession religieuse en Russie ou en Ukraine (un territoire de culture russe… n’en déplaise à certains)
Par exemple, à Sergeïev Possad dans les environs de Moscou où je suis tombé par le plus pur des hasards sur une procession religieuse en plein mois de juillet, dirigée par le patriarche de Moscou.

A Kiev, au moment de Maïdan, à l’époque, je me trouvais à Kiev, il n’était pas rare de voir des prêtres orthodoxes tenant une icône entre la police et les émeutiers afin d’empêcher toute violence. Ce qui m’impressionna le plus, c’est que personne n’osait intervenir d’un côté ou de l’autre de peur de blesser le prêtre ou d’endommager l’icône. Des scènes qui me marquèrent à vie. En France, nous sommes tellement éloignés de cela.


C’est parce que Staline a su utiliser avec brio ce grand principe qu’il a obtenu une telle adhésion populaire autour de sa personne, comme semble s’en étonner l’ambassadeur anglais en poste à Moscou, en février 1935 :
« À l’ouverture du Congrès des Soviets de toute l’Union, fonction qui ne fut guère autre chose qu’une glorification du Chef, les deux mille délégués se levèrent chaque fois que le nom de M. Staline fut prononcé, acclamant, applaudissant et chantant l’Internationale, parfois même pendant dix minutes. On remarquait que personne n’osait cesser d’applaudir, de peur que son voisin ne s’en aperçût, jusqu’à ce que l’orateur eût repris sa place pour signaler la fin de l’ovation. À une autre occasion, lors de l’inauguration d’une exposition d’art théâtral, un orateur, s’apercevant, à la fin de son discours, que la référence à M. Staline comme père des arts et du théâtre de la nouvelle Russie avait été oubliée, se précipita de nouveau sur l’estrade, pâle, et fit un panégyrique. » (Foreign Office R, ecords, « Viscount Chilston to Sir John Simon, 22 February 1935 : N 1017/6/38 » cité dans Hyde (1971, pp. 317-318))
2 : « Andreï Roublev » (1969) d’Andreï Tarkovski.
Le cinéma soviétique va d’ailleurs mettre en images la vie du plus célèbre iconographe russe, Andreï Roublev (1360-1430) par un autre génie du septième art, Andreï Tarkovski (1932-1986). Il y a une vraie continuité, outre le prénom commun, entre les deux personnages. L’un va mettre en images sous forme de peinture les grandes figures du christianisme orthodoxe, l’autre va mettre en images le peintre. Une image fixe pour l’un, des images qui bougent pour l’autre.
Je me rappelle, cette funeste année 1986, même encore aujourd’hui, pour la mort de Franck Herbert (l’auteur de Dune), de Daniel Balavoine ou de Coluche, mais également celle d’Andreï Tarkovski. Son film « Solaris » est considéré comme le plus grand film de science-fiction de l’histoire, à égalité avec « 2001, l’odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick.

Andreï Roublev tourne son film entre 1965 et 1966 et sortira aux cinéma en 1969. Comme jadis Eisenstein avec Ivan le terrible« , Andreï Roublev aura un rapport très compliqué avec les autorités soviétiques. C’est presque le même scénario qui se rejoue avec trente ans d’écart.
Au départ, le film sur la vie de l’iconographe est une commande de Leonid Brejnev. Mais le réalisateur va en faire une œuvre qui plaide en faveur de l’orthodoxie, alors que Brejnev entendait justement montrer le lien entre l’Union soviétique et les icônes. Brejnev quittera la projection privée avant la fin. Le comité de censure fera retirer trente minutes du film sur trois heures. Le film est autorisé à la diffusion internationale, mais interdit en URSS jusqu’en 1971.
Andreï Roublev a vécu dans une période très troublée de l’histoire de la Russie. C’est l’invasion tatare. Cette période très troublée va donner naissance au plus grand génie de l’iconographie russe. Le cinéaste montre le contexte historique et l’influence de celui-ci sur la création de l’artiste.
La scène d’ouverture est un chef d’œuvre. Un dirigeable est prêt à s’envoler. Il se trouve au pied de l’église de l’Intercession de la Vierge sur la Nerl à Bogolioubovo.

Le ballon avec un homme s’envole sur le long de la façade de l’Eglise.

Donnant lieu à de superbes images sur les sculptures de la façade.

Enfin, le dirigeable survole le monastère de l’Intercession à Souzdal.

Nous sommes ici au cœur historique de l’orthodoxie russe. J’ai visité ces lieux il y a quelques années. Je me rappelle encore aujourd’hui l’émotion qui m’avait envahie à l’époque. Comment oublier Bogolioubovo et Souzdal.
Bogolioubovo est un lieu improbable sorti de nulle part, un miracle de la nature de chaque instant. Un miracle permanent fait de main d’homme au milieu d’une nature déchaînée. Un miracle réalisé au nom de Dieu. C’est l’équivalent du mont Saint-Michel. C’est une minuscule église de pierre blanche avec un dôme noir et une croix dorée construite près de la rivière Nerl. La zone est envahie par les eaux et entoure l’édifice de novembre à avril. Durant cette période, il n’est pas possible de la visiter. Et encore, en hiver, l’eau est gelée, rendant la navigation impossible. C’est pour cette raison que le réalisateur montre l’église vue du ciel survolé par un dirigeable.

Il n’est donc possible de la voir qu’uniquement entre avril et novembre. La visite de ce lieu extraordinaire est toute une aventure. Je me rappelle de chaque instant de cette merveilleuse journée. L’église est située à quelques kilomètres du village de Bogolioubovo. Un magnifique petit village traditionnel russe avec des maisons en bois. Il faut passer devant la petite gare de bois pour aller voir l’église.

Il faut ensuite prendre un petit chemin de terre pour aller vers l’église.

La petite rivière Nerl se trouve au pied de l’église et reçoit le reflet du monument.

Ce qui frappe tous les esprits, c’est le caractère modeste du monument, au milieu d’une nature impitoyablement difficile. Petite et fragile, elle parvient à se maintenir en vie dans une nature très dure. C’est un miracle permanent de chaque jour qui montre que Dieu la protège. On a tous ressenti cela lors de notre visite.
Avec Souzdal, c’est autre chose. C’est une ville-musée. J’ai passé trois jours inoubliables à Souzdal, en 2011. J’ai justement dormi à l’intérieur du monastère de l’Intercession qui accueil des touristes occidentaux.

j’ai eu l’impression d’utiliser la Dolorean volante de « Retour vers le futur » en vivant dans la Russie aux temps des Tsars. La ville n’a gardé aucune trace de l’époque soviétique… sauf une minuscule statue de Lénine (qui n’a même pas été enlevé en 1991). Un lieu paradisiaque.




On ne comprend rien à la Russie et à sa magie si l’on n’a pas été voir Bogolioubovo et Souzdal. C’est ce que dit Andreï Tarkovski en ouverture de son film. C’est aussi ce qu’a compris Leonid Brejnev en quittant la séance du film avant la fin. Il comprend que le réalisateur essaye de faire passer le message que la vraie Russie a la cœur qui bat à Bogolioubovo et à Souzdal. La Russie de l’orthodoxie et des Tsars. Le message dû être un terrible affront pour le dirigeant soviétique.
Dans le reste du film, nous voyons Andreï Roublev peindre des icônes, peindre des fresques sur les murs de plusieurs églises en Russie, dont la cathédrale de l’Ascension de Vladimir. Il espère être recruté pour participer à la décoration de la cathédrale de l’Annonciation à l’intérieur du Kremlin de Moscou. On l’entend discuter avec ses apprentis des différentes techniques de l’iconographie, de la manière d’obtenir telle ou telle couleur. On assiste en spectateur à ses doutes. La scène finale du film, que n’a donc pas vue Leonid Brejnev se passe à Souzdal. La ville se remet doucement de la terrible peste qui l’avait frappée. Elle espère que la construction des églises et la peinture des icônes va permettre son redressement. On entend que le réalisateur désire faire un parallèle avec la Russie soviétique dont il espère le redressement par la redécouverte de sa foi orthodoxe et le retour des Tsars. Un film monumental qui n’a pas pris une ride.
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